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Entretien avec Laure Noualhat

Les initiatives citoyennes en faveur de la transition écologique se multiplient de plus en plus. Croyez-vous que ces initiatives permettent d’accélérer la transition écologique et solidaire ?

Les initiatives locales sont bien évidemment une des clés dans la solution.

Ce que je trouve très intéressant avec la période que j’appelle du « grand confinement », c’est que beaucoup de gens font par eux-mêmes, sans attendre. J’en veux pour preuve la question des masques mais il n’y a pas que ça. Certains ont la chance d’avoir un jardin, et pour une fois au lieu de planter des roses ou des plantes ornementales, ils commencent à s’intéresser à leur alimentation : Que vais-je manger demain ? Comment je m’alimente ?

Une crise économique majeure arrive, accompagnée d’une crise climatique qui ne va pas faire de quartier, sans oublier une crise politique car le système actuel ne fonctionne plus.
Plus tôt les gens s’emparent de la problématique, en s’emparant notamment des questions locales, mieux nous serons armés pour affronter ces différentes crises. Cette réappropriation peut se faire à la mesure de chacun, là où on vit, avec les gens de l’entourage proche (famille, amis, voisins). Cela peut être par exemple en allant aux conseils municipaux, aux réunions locales du plan climat, en créant une réserve communale, en rencontrant ceux qui font à côté de chez soi,…
Je ne dis pas que nous allons nous en sortir mais au moins, nous nous serons attelés à faire par nous-même sans attendre des politiques publiques ou encore de l’Europe.

La priorité est de regagner en autonomie et particulièrement vis-à-vis de l’énergie, de la nourriture, de notre habitat et de notre manière de consommer. Sur ces quatre sujets, plus nous pouvons reprendre collectivement du pouvoir, mieux ce sera.
Les initiatives locales explosent bien évidemment avec le confinement, mais elles explosaient depuis 2015 avec le film Demain, et même depuis 2009 avec l’échec du sommet de Copenhague. Cela peut paraître dérisoire, mais ces initiatives nous permettent de tenir, et de vivre encore tout en sachant que le pire arrive.

Cet élan est très fort : il faut le nourrir et l’encourager. Suffisamment d’outils ont été développés pour se lancer sans repartir de zéro. Depuis le Manuel de la transition de Rob Hopkins sorti en 2010, nous avons tous les modes d’emploi possibles et inimaginables pour nous y mettre. Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’apercevoir que des centaines de milliers de personnes sont en action. C’est en alimentant ces ruisseaux pour en faire des rivières, voire des torrents, que nous aurons une influence sur le pouvoir politique. En mettant une pression sur le politique en faisant par nous-même, et en réclamant ce que nous voulons, nous pouvons avoir une chance de mieux anticiper ce qui vient.

Les initiatives locales citoyennes sont fabuleuses car elles nous mettent en mouvement. Elles nous permettent de nous réapproprier une part de pouvoir. Le pouvoir de faire, le pouvoir de penser, le pouvoir d’être et de faire ensemble. Nous allons de plus en plus devoir gérer des situations critiques avec des gens que nous ne connaissons pas forcément. Plus tôt nous coopérerons, mieux ce sera. Dans l’Yonne où je vis, le confinement nous a permis de réaliser que nous étions déjà nombreux, pas forcément à se côtoyer ou à se parler, mais à œuvrer dans le même sens, celui de l’autonomie. Génial ! Nous nous sommes découverts : se sentir moins seul permet déjà de résoudre une grosse partie du problème.

La crise sanitaire actuelle a vu apparaître plusieurs tribunes parlant du jour d’après. Dans plusieurs de ses discours, le président Emmanuel Macron lui-même nous a invités à nous « interroger sur notre modèle de développement ». Pensez-vous que la crise actuelle permette une réelle prise de conscience des politiques ? Ou finalement sans pression venant des initiatives locales citoyennes, il ne se passera rien ?

Je n’entends aucun représentant du pouvoir politique dire le vrai du type : « nous ne sauverons pas les industries climaticides, nous ne pourrons pas sauver tous les emplois et il va y avoir du chômage ». Ce n’est pas en donnant 7 milliards d’euros à Air France qu’on pense différemment.
Nous sommes dans une phase où il faut même plus que du courage, il faut des idées !
Je n’entends nulle part un énorme plan de formation pour aider les gens à bifurquer, à se tourner vers des activités neutres en carbone, désirables. Aucun soutien à la non rentabilité, c’est à dire à ce qui ne rapporte rien financièrement mais qui rapporte en termes de biodiversité, de régénération des écosystèmes ou des liens humains, …

Le langage autour du monde d’après me dérange, tout simplement parce que je ne vois pas de différence flagrante jusqu’à présent. Il ne faut pas attendre de cette crise une rupture totale d’avec ce qui précède. Nous irons jusqu’au bout de la mondialisation, du capitalisme et de l’extractivisme. Nos sociétés iront au bout de ce qu’elles savent faire, c’est-à-dire procurer un maximum de confort et de biens matériels à ceux qui en ont envie ou les moyens de se les offrir. Et puis nous allons aussi oublier…

Ensuite, pour construire le monde qu’on voudrait voir advenir, pour le rendre désirable, il faudrait énormément de pédagogie, de nouveaux récits, des référentiels au bonheur innovants pour emmener tout le monde sans distinction sociale et inculquer le virus du renoncement. Car c’est l’ère du renoncement qui arrive si nous voulons vraiment faire attention. Or, aucun programme politique n’a l’honnêteté d’en parler. Personne ne s’est mis autour de la table pour définir ce à quoi nous sommes prêts à renoncer. Il faudrait essayer de supprimer la publicité, par exemple, qui nous met en tête des rêves totalement obsolètes par rapport aux défis du moment.

Tant que les gens n’auront pas ressenti en eux ce besoin de sauver ce qui est universel, c’est-à-dire le rapport au vivant, nous scierons la branche sur laquelle nous sommes assis, et aucun renoncement ne sera possible.

Vous sortez un livre fin mai dont le titre est « Comment rester écolo sans finir dépressif ?». N’y a-t-il vraiment pas d’espoir à moins que vous ayez un secret ?

Les éléments de réponse et de « solutions » sont dans tous les livres de philosophie et d’histoire de la pensée depuis 2 500 ans. Regarder les choses en face fait mal mais fait aussi grandir grâce à une certaine métamorphose du regard. Une fois que nous avons connaissance de tout le problème environnant, nous pouvons prendre des décisions en connaissance de cause. Nous sommes en train de sortir d’un mirage collectif planétaire : nous sommes dans un système fini et les limites existent. Ce désarroi psychologique m’apparaît nécessaire. Quand on perd un être cher, le processus du deuil consiste à accepter sa mort : apprendre à vivre sans lui, avec des souvenirs, de l’amour, de l’affection, des images, mais aussi avec sa terrible absence. C’est un peu la même chose que nous devons faire avec les conditions de vie sur terre : un deuil collectif, c’est-à-dire que nous allons devoir vivre sans tout ce que nous avons eu.

Cela fait longtemps que je travaille sur le renoncement au sens où nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons. Montesquieu disait « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Je suis née dans une société volontaire pour piller les ressources de pays « en développement » « sous-développés », et j’ai vécu avec ce confort-là toute ma vie sans me poser de questions. Maintenant que les ressources n’existent plus, comment redéfinir nos besoins ? Il faut s’ébrouer et réussir à se défaire de ce dont nous n’avons plus besoin.

Que nous faut-il pour être heureux ? Des amis, une famille, de l’amour en somme, du vin bio, un contact avec la nature. Que l’on soit Peulh ou sur une plateforme de forage en Norvège ou encore ici, dans l’Yonne, nous désirons tous la même chose : de l’amour et à manger. Le bonheur ne passe pas par l’avoir. Comment déshabituer les gens à ne pas vouloir ?

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager en faveur de l’écologie ?

Dans un premier temps, se rapprocher des personnes sensibles à ces questions-là. On les trouve pas loin de chez soi : dans une AMAPP, une association, une rencontre festive, … Tout est bon pour sortir de son maelstrom émotionnel où se mêlent à la fois peur, impuissance, colère, et beaucoup de tristesse et de peine. Et ne pas rester seul.e.

Et dans un second temps, agir. Comme l’écrit Goethe dans Le pouvoir de l’engagement, « Quoique vous pensiez, ou croyez pouvoir faire, faites-le. L’action porte en elle la magie, la grâce et le pouvoir. ». Quand on fait quelque chose, il y a quelque chose de magique. Il y a aussi de la grâce à faire. Et il y a le pouvoir de reprendre le contrôle sur sa vie.

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire