Actualités Entretiens

Viseta : et si l’on refaisait tourner nos moulins ?

Sobriété énergétique et respect de la biodiversité

Et si vous produisiez l’énergie que vous consommez ? C’est le projet lancé par deux ingénieurs en aéronautique en 2019, dans les Hautes-Pyrénées. Baptisée Viseta, cette association cherche des solutions pour produire l’énergie la plus sobre et respectueuse de l’environnement possible. Leur projet ? Installer une turbine en bois à destination des quelque 80 000 moulins à l’abandon en France.

Vis sans fin en bois produite par Viseta

En décembre 2024, la Fondation Terre Solidaire retient la candidature de Viseta et choisit de les soutenir, pour la pertinence et l'originalité de leur projet. Entretien avec Thomas Lepage, le cofondateur de Viseta

En quoi consiste le projet Viseta ?

Viseta est une association créée en 2019 dans les Hautes-Pyrénées. Avec Loïs Vivé, nous étions deux ingénieurs dans les turbines aéronautiques d’hélicoptères ou d’avions. Nous nous demandions pourquoi il y avait tant de moulins abandonnés. En cherchant, on a compris qu’ils étaient liés à des problèmes de biodiversité et qu’ils étaient très chers à rénover.


Dans le même temps, nous avons découvert le concept de vis sans fin (aussi appelée vis d’Archimède). De là, on voulait créer un objet utile, accessible et avec le moins d’impact possible sur l’environnement et la biodiversité, tant dans sa fabrication que dans son utilisation.


En 2020, nous avons remporté un appel à projet de la région Occitanie. Grâce au budget remporté, nous avons pu réaliser un prototype à échelle réduite que nous avons mis à l’eau récemment, dans les Hautes-Pyrénées.

Progressivement, l’équipe s’est étoffée, jusqu’à 9 membres aujourd’hui, chacun avec des compétences diverses, comme l’électricité ou la mécanique.

Un projet expérimental et collectif

Le projet est basé sur trois grands piliers. D’abord le pilier expérimental, car nous faisons quelque chose d’inédit. Le deuxième pilier, c’est notre démarche collective. L’association est ouverte à tous, nous cherchons des compétences, et nous travaillons beaucoup avec des écoles, des centres de recherche ou d’autres associations notamment le réseau ÊTRE.

Le dernier pilier, c’est l’ouverture, tant parce que l’association est ouverte à tous, et car nous publions nos résultats de façon publique pour que chacun puisse les utiliser

À quels enjeux le projet Viseta répond-il ?

Sobriété, autoconsommation et impact réduit sur la biodiversité

Le premier enjeu, c’est la sobriété énergétique. À travers cette turbine, l’idée est de faire de l’autoconsommation plutôt que de la revente. On ne va produire et consommer que ce dont on a besoin. La turbine s’adresse aux personnes disposant d’un moulin avec un droit d’eau. Ce sont essentiellement des particuliers, ou alors quelques collectivités. Mais nous avons aussi été contactés par des agriculteurs ou une brasserie qui aimerait produire son énergie en autoconsommation.


Le second enjeu consiste à limiter l’impact de ces installations sur la biodiversité des rivières. Concrètement, en amont de la turbine, on installe un seuil pour créer un cour d’eau qui viendra alimenter la turbine. Cela peut constituer un obstacle à la libre circulation des poissons, notamment s’ils veulent remonter cette chute d’eau. L’idée est donc de créer une structure avec des chicanes par exemple pour ralentir l’eau et ainsi faciliter le passage des poissons et limiter l’impact sur la biodiversité de la rivière. Nous travaillons avec des biologistes pour quantifier la potentielle amélioration de ces installations.

À quoi ressemble cette turbine ?

Cette turbine est une grosse vis sans fin. Elle ne tourne pas vite. Quand les poissons arrivent devant la turbine, ils sont pris dans une poche d’eau et ne passent pas à travers des palles, contrairement à des turbines classiques. Ainsi, les poissons ne sont pas impactés et cela limite l’impact sur la biodiversité.

Le choix du bois : un matériau écologique et économique

Cette turbine est en bois, et pour plusieurs raisons. D’un point de vue économique d’abord. Le bois est beaucoup moins cher que le métal, utilisé habituellement pour les turbines classiques. La majorité des propriétaires de moulins ont plus de 50 ans, n’ont pas forcément de grandes capacités
d’emprunts et des capacités de financement pharaoniques. La deuxième raison est d’ordre esthétique. Les moulins sont magnifiques, ce serait dommage d’y rajouter du béton ou du métal.
Le bois est aussi plus écologique. On compte proposer plusieurs types d’essences de bois qui conviendraient au niveau de la durabilité, mais surtout produites localement. Cela évite aussi de choisir des bois déjà trop utilisés et victimes de la monoculture.
L’autre intérêt du bois est de proposer la turbine sous forme de kit à monter directement sur place, ce qui est beaucoup moins envisageable avec du métal.
Cela permet d’économiser les coûts de transports en fabriquant localement les pièces les plus lourdes, soit par le client lui-même, soit par les artisans locaux, et leurs machines.

Une solution qui s'adapte à chaque budget

C’est la démarche « low-tech ». Ce fonctionnement est aussi avantageux pour le client. Par exemple, si le client accepte de faire des perçages lui-même, ce sera une tâche en moins à faire pour l’artisan, et cela lui permettra d’économiser des coûts. Proposer une solution complète, clé en main, cela
représente des coûts supplémentaires. Il faut donc que la personne soit suffisamment motivée par le projet pour prendre en charge certaines tâches si elle veut baisser les coûts. L’objectif est de ne pas dépasser les 20 000€.

Quelle est son efficacité ?

Une turbine trois fois plus productive que des panneaux solaires

La turbine fonctionne quasiment toute l’année, hormis l’été. Elle produit, à puissance égale, trois fois plus d’énergie en moyenne que les panneaux solaires (qui perdent en efficacité en cas de mauvais temps). Le solaire nécessite une batterie pour stocker l’énergie. Avec l’hydraulique, il y en a moins besoin. Nous sommes en train de chiffrer des données pour visualiser davantage les gains que
l’autoconsommation via la turbine offre. Mais le solaire n’est pas un concurrent, c’est complémentaire !

Quelle est la prochaine étape du projet ? Construire la turbine à taille réelle ?

Oui tout à fait ! La deuxième étape consiste à réaliser la turbine à taille réelle d'ici 2026. Grâce à la turbine à taille réduite, nous avons identifié certains défauts ou des pièces trop chères, notamment les pièces métalliques que l’on avait fait sur-mesure. On va utiliser des jantes d’occasion de voiture à la place.

Optimisation des coûts et travail en collaboration

Au lieu de débourser 1000 €, on ne payera que 50 € ! Ce sont des gains énormes tant économiques qu’écologiques ! Nous élaborons ces petits projets avec des écoles d’ingénieurs, des centres de recherche, des lycées en Occitanie. On travaille aussi avec le réseau ÊTRE des Hautes-Pyrénées pour fabriquer le fût, la pièce centrale de la vis.

Une vis à taille réelle pour 2026

Nous avons commencé à travailler sur la turbine à taille réelle l’an dernier. Le fût sera fini à temps pour 2026. Il reste surtout à trouver les sites pilotes. La prochaine étape, une fois que l’on aura développé une turbine sur un ou deux sites pilotes, est de proposer des projets à la carte adaptés selon les goûts et compétences de chacun. Nous comptons pour cela former les personnes intéressées pour qu’ils réalisent une partie de la conception de leur turbine, toujours dans
cette démarche « low-tech ». L’autre partie, elle plus complexe, sera réalisée des artisans locaux. C’est le meilleur moyen pour faire baisser les coûts.


Propos recueillis par Aurélien DUFOUR

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire