Article rédigé pour la Fondation Terre Solidaire par Marie Huré
Au-delà de sa fonction esthétique, l'art revêt bien d'autres fonctions. Rassembler, dénoncer, transmettre… quand les chiffres alarmants sur le climat et les mises en garde des scientifiques ne suffisent pas à provoquer le changement profond nécessaire, l’art dans sa globalité peut prendre le relais. L’art se fait professeur d’Histoire, témoigne des combats propres à chaque époque pour pleinement prendre la mesure du chemin parcouru. L’art informe et propose des alternatives. Décuplé par la force des émotions, chaque message porté par une œuvre d’art peut trouver une résonance en chacun d’entre nous et ce d’une manière universelle. Car il n’est pas question de douter de la parole d’un politique ou de remettre en question la fiabilité d’un rapport mais bien d’écouter ce que l’art a à nous dire.
L’art en tant que média
Outre la nature physique d’une œuvre d’art qui évoque jusque-là beaucoup plus un support, il convient de voir au-delà de l’aspect technique et d’interpréter le contenu pour y trouver un intérêt bien plus grand. Lorsque l’artiste crée son œuvre, quel que soit le médium utilisé, il retranscrit avant tout une idée. Hegel, philosophe allemand des 18 et 19ème siècles, disait d’ailleurs que « L’art […] n’est pas pensable indépendamment de l’esprit d’où il tire son contenu. Inséparable de l’histoire, il ne se laisse pas réduire pour autant au statut de document »
De cette manière, l’art transmet un message, permet l’expression et traduit à sa manière les préoccupations et enjeux d’une société, d’un peuple, d’une époque. Banksy, l’un des street-artistes les plus connus au monde, reprend les sujets d’actualité et les intègre au bon endroit pour qu’ils y trouvent la résonance parfaite. Il dénonce souvent les inégalités sociales et les guerres, mais les sujets écologiques ont également droit à leur moment de gloire comme avec ses simples mots “I don’t believe in global warming” peints sur le mur du Regent’s Canal à Londres.
L’art en tant que média peut donc toucher une cible plus large qui s’intéresse à la pratique dans son ensemble et mettre en lumière les enjeux précis d’un sujet donné ou d’une société à un moment clef de l’Histoire. Nous parlons d’ailleurs beaucoup “d’artivisme”, qui n’est autre que la contraction des mots “art” et "activisme”. Des collectifs, comme Le Bruit qui Court, se sont d’ailleurs formés pour rassembler artistes et activistes, dont les convictions peuvent aisément converger et les compétences se compléter.
Art et climat, un fort vecteur de sensibilisation
En passant par l’art, dans sa globalité ou ses spécificités, c’est toute une cible qui devient accessible et réceptive aux messages plus ou moins clairement énoncés. En passant par des sens comme la vue ou l'ouïe (les autres sens étant moins sollicités face à une œuvre d’art), le spectateur va ressentir certaines émotions qui lui sont propres. Que ce soit pour faire écho à certaines luttes ou éveiller à des causes, c’est en ressentant des émotions assez fortes que le message pourra s’inscrire dans la durée.
La musique par exemple transmet toute une palette d’émotions, induisant bien souvent des réflexions personnelles ou collectives. C’est dans cette optique que l’Orchestre du Nouveau Monde devient le premier orchestre engagé pour la justice sociale et climatique en France. Grâce à la musique classique, les musiciens escomptent faire écho aux luttes sociales et climatiques de nos générations. De plus en plus de projets et de collectifs artistiques se construisent dont le but est précisément de sensibiliser les citoyens au changement climatique.
Le programme de l’EnsAD, Deisgne des Territoires, met en lumière les liens que les citoyens entretiennent avec les territoires, comment les valoriser, soulever les problèmes et dessiner les possibles solutions. Et même si celles-ci ne sont pas toujours certaines, les œuvres sont une manière de transmettre ce qui a été entrevu jusqu’ici afin de continuer d’avancer.
Autre exemple très probant, le collectif de danse Minuit 12 qui sensibilise ses spectateurs au changement climatique. La danse, en tant que moyen d’expression, en solo ou en groupe, prend ici une forme de militantisme à part entière. Autant sur scène en prenant tour à tour le rôle d’éléments naturels ou de personnages, que dans la rue pour manifester, en dansant, aux côtés de diverses organisations de défense de l’environnement. La résonance est positive, les thématiques variées et les enjeux bien réels. Le lien entre institutions culturelles, politiques et le terrain est créé.
Le rôle de l’art dans la transition écologoqique
Nous pourrions aussi dire le possible rôle de l’art dans le changement climatique puisque l’art représente une ressource insondable et inépuisable et donc difficilement mesurable. Même si c’est assurément un vecteur de message et un formidable réservoir de connaissances. Aujourd’hui nous possédons de nombreux outils qui collectent des données précieuses afin de mesurer les impacts du changement climatique et de faire des états des lieux. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Pour remonter le temps donc et évaluer l’évolution des paysages, du climat ou de notre rapport à la nature, il suffit de se rendre au musée. La récente exposition “La voix de la forêt” de Théodore Rousseau au Petit Palais à Paris témoigne du lien étroit que les peintres entretenaient avec leur environnement, et du fait qu’ils s’inquiétaient déjà de l’abattage des arbres de la forêt de Fontainebleau. Leurs problématiques étaient similaires aux nôtres, il y a 2 siècles, comme la disparition graduelle d’une nature luxuriante, source de vie et d’inspiration.
Nous faisons partie d’un tout, où chaque maillon est indispensable et il est de notre devoir de préserver cet écosystème. C’est ce même postulat que nous retrouvons dans les œuvres de Tolkien ou de Miyazaki pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus célèbres. Même si bien sûr, il ne faut pas oublier qu’une œuvre d’art est par définition subjective et que les artistes décident de ce qu’ils veulent représenter et du message qu’ils veulent faire passer. Nous pouvons faire le parallèle avec nos photos du monde actuel, en abondance sur les réseaux sociaux, qui ne représente qu’un bout de la réalité.
L'impact émotionnel de l'art sur la conscience écologique
Générer des émotions, donner des pistes de lecture ou encore rendre beau sont autant de moyens pour intéresser les citoyens aux luttes écologiques et leur permettre de comprendre les enjeux. Il est en effet difficile de défendre ce que nous ne connaissons pas et ne comprenons pas. Cela peut donc être le point de départ pour susciter des réactions, et pourquoi pas, l’action ?
De la même manière, plusieurs initiatives ont été lancées pour alerter sur l’urgence de la situation, notamment au 21e siècle. Un très bon exemple est celui de Michael Pinsky, qui a installé en 2018 cinq dômes à l’intérieur desquels les conditions atmosphériques de plusieurs villes du monde ont été reproduites. De Tautra en Norvège, à New Delhi en Inde, chaque dôme permet de prendre conscience du niveau de pollution de chacune de ces villes et de l’impact que cela a sur les conditions de vie des habitants…
L’art et notamment l’art contemporain deviennent ainsi des acteurs majeurs de la transition écologique, portant la voix de nombreux artistes à travers le monde, alliés pour une même cause. Des associations voient le jour, à l’image de Art of change, fondée par Alice Audouin. Le but est de créer une communauté d’artistes engagés pour la transition écologique et de porter ensemble le changement vers une société plus juste écologiquement et socialement. Derrière chacune de leurs actions, beaucoup d’espoir et de convictions… l’espoir qu’ensemble nous pouvons changer la donne, et qu’il n’est pas trop tard.