Article rédigé pour la Fondation Terre Solidaire par Aurélien Dufour
Alors que le ministère de la Transition écologique en France se targue d'une diminution des émissions de gaz à effet de serre sur les premiers mois de l’année, les derniers chiffres des principaux organismes étudiant le climat affirment que le réchauffement climatique continue de s’accentuer.
« Il y a une dynamique qui est enclenchée » C’est par ces mots que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, souligne la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France de 5,3% sur les trois premiers mois de l’année 2024, sur France Bleu, le 26 juin 2024. Ce chiffre est avancé par le Citepa, une association à but non lucratif, qui « évalue l’impact des activités humaines sur le climat et la pollution atmosphérique ». Mais ce chiffre ne comprend ni l’absorption du CO2 par les puits de carbone, ni les émissions liées aux importations. Alors, y a-t-il une dynamique ou pas ? Analyse des différents indicateurs sur le climat.
54,6 gigatonnes de CO2e émises en 2022, proche du record de 2019
Pour mesurer le réchauffement climatique, le GIEC (Groupe intergouvernemental d’étude sur l’évolution du climat) a mis à disposition les données principales. Concernant d’abord les émissions de gaz à effet de serre : 54,6 gigatonnes d’équivalent CO2 (Gt CO2e) ont été émises en 2022 (les données pour 2023 n’étant pas encore complètes). Un niveau qui talonne le record de 2019 (54,7 gigatonnes CO2e). Deux tiers de ces émissions sont encore dû aux énergies fossiles (36,4 gigatonnes CO2e). En 2023, les émissions de gaz à effet de serre dû aux énergies fossiles s’établissent déjà à 36,8 Gt CO2e. Une hausse de 0,4 point sur un an.
En France, 623 millions de tonnes de CO2 ont été émises en 2022 selon les chiffres du ministère de la Transition écologique, rejoignant le niveau d’avant Covid-19 de 2019 (626 Mt CO2e). Derrière ce chiffre, plus de la moitié des émissions sont dues aux importations (348Mt CO2e). Un montant qui n’est pas comptabilisé dans les données du Citepa.
Le Citepa ne prend pas en compte les puits de carbone : les forêts, marais et tous les écosystèmes qui captent le carbone. Or, leur état se détériore. En 2024, dans son rapport annuel, le Haut Conseil pour le Climat juge « affaibli » le puit de carbone forestier en France car « fragilisé par le changement climatique » et les feux de forêts, les fortes chaleurs et la sécheresse.
Un réchauffement climatique vers +1,5°C en 2031
D’autres indicateurs montrent que le dérèglement climatique de la Terre s’accentue. Au niveau des températures, en 2023, la Terre était en moyenne 1,3°C plus chaude par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900). Le réchauffement climatique atteignait 1,2°C en 2019 et 1,1°C en 2016. Le GIEC calcule qu’à ce rythme de +0,26°C par décennie, la barre des +1,5°C fixée à 2100 par l’Accord de Paris sera atteinte… en 2031. Plus récemment encore, l’observatoire européen Copernicus a classé juin 2024 comme le mois le plus chaud jamais enregistré avec 16,66°C en moyenne à l’échelle mondiale, soit +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Juin 2024 devient alors le treizième mois consécutif à battre des chaleurs de températures. Sur les douze derniers mois, les températures sont supérieures de 0,76°C en moyenne par rapport à celles entre 1991 et 2020, et 1,64°C au-dessus des moyennes de l’ère préindustrielle.
Enfin le GIEC évoque le budget carbone : les émissions en carbone disponibles pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des +1,5°C et selon différents degrés de probabilité. Ce budget diminue de 40 gigatonnes chaque année. Avec 50% de chance de le maintenir, le budget carbone de l’humanité était de 500 gigatonnes en 2020. Il est aujourd’hui de 200 gigatonnes. À ce rythme, le budget pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C sera épuisé en 2031. Si l’on souhaite maximiser nos chances de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, il ne nous reste plus que 100 gigatonnes de CO2 à émettre, et ce budget sera épuisé en 2026, selon le Giec.
Ainsi, ces tous derniers chiffres viennent contrebalancer la baisse effective des émissions de gaz à effet de serre en France de 5,3% au premier trimestre de 2024, mais qui ne comprennent pas les émissions dues aux importations. Une dynamique est peut-être présente en France, mais « le rythme et l'ampleur de l'action climatique ne sont pas suffisants pour limiter l'escalade des risques liés au climat » estime Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherches au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, ancienne membre du GIEC.