Entretien avec le collectif Nourrir
Nouvelles législations, mobilisations d’ampleur, élections… Le monde agricole et ses acteurs font face à de nombreux changements qui pourraient bien affecter durablement le système agricole et alimentaire français. Le Collectif Nourrir, qui œuvre pour la mise en place de politiques agricoles à la fois justes et respectueuses de l'environnement, nous apporte quelques décryptages.
Quels enseignements tirer de la crise agricole du début de l’année 2025 ?

La crise agricole en cours a pris beaucoup d’ampleur en 2025, mais elle trouve sa source en 2024. Dès janvier 2024, les différents syndicats ont commencé à s’exprimer dans l’espace médiatique et public pour se saisir des sujets charniers, notamment dans le cadre de la révision de la Loi d’Orientation Agricole, en discussion depuis 2022, et de la tenue du salon international de l’agriculture. Ce sont deux évènements qui génèrent toujours un peu de tensions et qui permettent de faire pression, car ils remettent au cœur des débats les réelles préoccupations des agriculteurs.
La loi d’orientation agricole, qui n’a pas été revue depuis 2013, est une loi qui se veut structurante et est donc un contexte majeur particulier. C’est un moment très fort des mobilisations, cela faisait des années qu’il n’y en avait pas eu de cette ampleur... Malheureusement, elle a été repoussée jusqu’en mars 2025 à cause de l’instabilité politique, de la dissolution de 2024 et de tout ce qui s’en est suivi. Cela a créé de la frustration et un manque de cohérence, sans réelles réponses apportées aux problématiques qui rendent le travail des agriculteurs et agricultrices parfois très compliqué. Finalement la loi ne va pas permettre d’accélérer le renouvellement des générations, d’assurer de meilleurs revenus aux agriculteurs et ni de leur donner les moyens de s’adapter face au changement climatique.
Elle n'est pas à la hauteur de leurs réelles préoccupations et, sous couvert de simplification environnementale, constitue une régression écologique.
Après les élections des chambres d’agriculture, la FNSEA est toujours en tête et la Coordination Rurale gagne des départements… Que doit-on comprendre ?
Tout d’abord, il faut comprendre qu’à l'issue des élections de 2025, il y a plutôt une diminution de l’hégémonie de la FNSEA et un rééquilibrage entre les 3 principaux syndicats. Le système électoral des chambres est particulier. Il ne se fait pas selon un scrutin proportionnel. C’est à la prime au gagnant, donc le syndicat qui arrive en tête, peu importe la marge, obtient automatiquement la moitié de sièges, et est donc majoritaire.
Ce n’est pas représentatif du vote des agriculteurs car si le mode de scrutin proportionnel était appliqué, nous pourrions appliquer un mode de gouvernance partagée, ouvrant la voie à des négociations représentant réellement la diversité des opinions (pour en savoir plus). Cependant, comme elle contrôle encore 77% des chambres, elle reste le porte-parole principal du gouvernement. L’instabilité politique et le contexte des mobilisations a cristallisé les tensions et a exacerbé les divergences entre les différents syndicats. Les élections ont été l’occasion de récupérer des voix, avec la promesse de répondre aux problématiques de la part des syndicats.
Quelle est réellement l’influence de ces syndicats ? Est-ce qu’ils sont capables de répondre aux véritables préoccupations des agriculteurs ?
L’impact des syndicats est plutôt fort sur les modèles déployés à l’échelle des territoires car ils gèrent le bureau des chambres d’agriculture et choisissent l’orientation des politiques menées. Les chambres accompagnent et soutiennent les structures du territoire. Et elles ont en réalité beaucoup d’autonomie. Pour certaines par exemple, la gouvernance est ouverte afin de garantir la diversification des approches. Mais il existe d’autres organismes et soutiens pour tous les acteurs.
Loi Duplomb, symbole de la scission entre l’agro-industrie et l’agriculture paysanne ?
La loi Duplomb donne effectivement la priorité à l’agro-industrie, qui ne représente finalement qu’une certaine typologie d’agriculteurs comme les céréaliers, les éleveurs industriels ou encore ceux qui pratiquent une agriculture intensive. A titre d'exemple, les élevages ciblés par la loi Duplomb ne représentent que 3% des élevages du territoire. Elle ne répond pas aux préoccupations des agriculteurs au sens large, elle est déséquilibrée. Mais c’est tout à fait logique au regard de la personne qui a porté le projet de loi. Le sénateur Duplomb est l’ancien président FNSEA à la chambre d’agriculture de Haute-Loire. Il porte depuis de nombreuses années au Sénat une vision industrielle et exportatrice de l’agriculture française, comme en témoigne sa précédente proposition de loi "ferme France".
Le rétropédalage de la loi et la suppression de l’article concernant la réintroduction du pesticide tueur d’abeille fait vraiment suite à la mobilisation citoyenne et à la pétition ?
Pas réellement, c’est le Conseil Constitutionnel qui a jugé cet article non conforme à la Constitutions sur certains aspects précis. D’après eux, l’utilisation de ce pesticide n’était pas assez encadrée, ni dans le temps ni dans l’espace, ce qui le rend non conforme. C’est une bonne nouvelle dans l’immédiat mais cela donne la possibilité de rédiger une nouvelle loi dans les prochains mois, qui sera plus encadrée pour correspondre à la Constitution et qui pourra donc être validée par le Conseil Constitutionnel.
Il faut bien avoir en tête que la pétition, même si elle n’a pas influencé le Conseil, peut influencer les députés si la loi refait surface. La mobilisation citoyenne à propos de cette loi est un signal très fort qui montre qu’il faut s’entendre collectivement, c’est un sujet de société. Il faut également souligner la décision juridique de septembre qui appelle à une révision des autorisations de mise sur le marché des pesticides par l’ANSES.
Le terme de souveraineté alimentaire revient très souvent dans l’espace politique et médiatique dernièrement, est-ce que la définition est la même pour tout le monde ?
Non, le terme est détourné. Par exemple, la loi Duplomb dit répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire mais c’est faux. Elle répond aux besoins des marchés internationaux et non aux besoins en alimentation des populations sur les territoires, avec un commerce équitable, respectueux de l’environnement et des droits humains. Pour la filière des noisettes par exemple, la concurrence principale vient de la Turquie. Or pour la culture des noisettes en Turquie, des enfants sont employés, le seuil de rémunération est très bas et des produits chimiques non autorisés en France sont utilisés. Le bénéfice économique se fait au détriment des conditions des personnes employées dans ces pays et de l'environnement, ce qui n’est pas cohérent avec la vraie définition de la souveraineté alimentaire. Nous défendons une agriculture durable, capable de nourrir décemment toutes les populations sans porter atteinte à l’environnement ni aux droits humains.
Est-ce que cela est de bon augure pour le futur de l’agriculture en France et dans le monde ?
D’un point de vue général, nous notons quand même que la question de la transition vers une agriculture durable devient de plus en plus prégnante pour les décideurs politiques. L’importance du rééquilibrage en faveur des petites et moyennes structures, du soutien au secteur agricole au global et de la transition vers l’agroécologie germe au sein des différents partis politiques et dans l’esprit des citoyens. Mais nous ne parlons pas encore assez, dans l’espace médiatique notamment, des enjeux du terrain et les préoccupations de la majorité des agriculteurs. Celles-ci sont pourtant claires, suite à un sondage que nous avons réalisé.
Globalement, il faut simplifier l'administratif et l’accès au financement, pour faire évoluer les modes de productions et répondre aux enjeux climatiques, et soutenir l’installation ou la reprise des structures pour garantir le renouvellement des générations. En tête des préoccupations principales, l’accès à un revenu digne et l'adaptation au contexte écologique. Les impacts du dérèglement climatiques sont par ailleurs mentionnés spontanément dans 21% des réponses des agriculteurs, ce qui est supérieur aux personnes en dehors du secteur agricole (d’après une étude de l’ADEME en 2024, l’environnement arrive en 3e position des préoccupations)
Et pour la suite de 2025 ?
Avec l’incertitude politique qui dure, il est difficile d’évoluer aussi efficacement qu’il le faudrait. D’autant plus que beaucoup d’acteurs sont dépendants de l’Europe et de ces décisions, à l’image de la Politique Agricole Commune et de l’accord Mercosur… Il faut être partie-prenante et être présent sur ces sujets-là, pour défendre une agriculture juste et durable. De nouvelles mobilisations sont attendues à l’appel des différents syndicats, notamment sur les pesticides. Il faut continuer à équilibrer le rapport de force et à faire pression sur les décideurs. Les citoyens doivent aussi continuer de faire valoir leurs attentes, et à faire vivre la suite de la pétition. Les marches pour le Climat ou les différentes manifestations sont autant d’occasions de continuer à visibiliser les enjeux et les attentes des différentes parties-prenantes.

Merci à Maureen Jorand, coordinatrice du collectif Nourrir, et aux autres membres du collectif pour leurs réponses. Il est primordial de rester informé, de partager et de se mobiliser autour des sujets qui concernent à la fois nos agriculteurs et agricultrices en France, mais également l’ensemble des citoyen.nes. Le monde agricole est non seulement le socle de notre système alimentaire, mais il peut affecter durablement l’environnement dans lequel nous vivons. Il est essentiel de mettre en place un système agricole qui permette de fournir une alimentation saine à toutes les populations, sans porter atteinte à l’environnement et tout en rémunérant dignement chaque partie-prenante.
Entretien réalisé par Marie Huré