Interview d'Iker ELOSEGI
Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG, pour chambre d'agriculture alternative au Pays Basque) est une association qui contribue au développement d’une agriculture paysanne et durable. Installée sur la partie basque des Pyrénées-Atlantiques. Elle défend la préservation du cadre rural et paysan avec un ancrage local. En décembre 2024, la chambre d'agriculture alternative du Pays Basque (EHLG) est devenu partenaire de la Fondation de Terre solidaire, dans le cadre de son projet de transmission de ferme. Une bonne nouvelle perçue comme un « cadeau de Noël » par le coordinateur d’EHLG Iker ELOSEGI à qui nous avons consacré une interview pour mieux connaître cette association paysanne du Sud-Ouest.
EHLG : une association au service de l’agriculture paysanne
Quel est le projet d’EHLG ?
Née en 2005, Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG) s’engage pour une agriculture respectueuse des hommes, de l’environnement et des consommateurs au Pays Basque. Cette notion « d’agriculture paysanne » a été développée dans les années 90 par la Confédération paysanne et par ses militants qui ont créé EHLG. Avec une vision sur le long terme, elle fait vivre le maximum de fermes sur un territoire tout en respectant les gens qui y habitent, les consommateurs et l’environnement. Concrètement, les paysans se mettent autour de la table avec les consommateurs, pour s’accorder sur une manière de produire respectueuse de l’environnement. On nous appelle la chambre d’agriculture « alternative » du Pays Basque.
Une alternative à l’agriculture intensive
Quelle alternative portez vous pour répondre au problème causé par l’agriculture intensive ?
L’alternative de l’agriculture paysanne s’est construite en opposition à l’agriculture intensive, industrielle. Cela veut dire EHLG privilégie les petites fermes familiales et les circuits courts pour valoriser les ressources locales et limiter l’impact écologique. La taille des exploitations ici est de 30 hectares. Ce sont donc des parcelles plutôt familiales. Alors qu’au niveau de l’hexagone, la taille moyenne des exploitations agricoles est plutôt de 70 hectares. Nos fermes fonctionnent sur des logiques d’utilisation des ressources locales qui sont abondantes. Ici, le climat est doux, il y a des montagnes et des ressources herbagères utilisées pour le bétail. Il y a également la volonté d’utiliser moins de ressources polluantes comme le pétrole. On essaie de faire en sorte que ça soit les brebis ou les vaches qui pacagent les champs plutôt que les paysans qui utilisent les tracteurs pour couper l’herbe ou le maïs en sillage, l’amener à l’auge puis prendre le fumier pour le remettre au champ.
Des produits locaux protégés et valorisés
Nous essayons aussi d’éviter la chaîne : « je suis producteur d’une matière première standardisée, pour l’industrie agroalimentaire qui va être transformée en aliment standardisé, puis qui va être mis en vente en grande surface ». Avec ce système, le paysan est maintenu en survie en termes de rémunération. Concrètement, si les prix baissent trop, il disparait. Cela n’arrange ni les affaires de l’industrie, ni celles de la grande distribution. Cela oblige les paysans à essayer d’avoir le maximum de production sur des petites surfaces avec tous les dégâts environnementaux que cela peut causer (excès de pesticides, de nitrates, de perte de biodiversité, etc…). Pour l’agriculture paysanne, la valeur ajoutée doit être suffisamment captée par le paysan pour qu’il puisse en vivre dignement. Cela se traduit par une protection à travers les AOP (Appellation d’Origine Protégée) et les AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). Les AOP (vin d’Irouléguy, Ossau-Iraty, piment d’Espelette, jambon Kintoa) assurent une rémunération juste aux paysans et préservent les savoir-faire locaux. Elles nous permettent d'aller capter la valeur ajoutée, pour que les produits de la production de lait, de vin, de viande ou de piment puisse rémunérer nos paysans d’une meilleure façon que celle proposée par l’agriculture industrielle.
Un combat juridique pour exister
Dans quel contexte l’association évolue-t-elle ?
La création de cette association a suscité de multiples remous. Nous avons subi une succession de procès intentés par l’Etat qui a essayé de nous faire disparaître par tous les moyens. On pense que ce qui a gêné, c’est notre manière d’interroger aussi fortement le modèle d’agriculture sur le territoire en créant une chambre d’agriculture alternative. Pourtant, nous sommes simplement une association. Malgré les attaques judiciaires, EHLG s’est imposée comme un acteur clé du développement agricole au Pays Basque, passant de 3 à 23 salariés depuis 2015. Nous avons investi beaucoup de chantiers, d’actions de terrains avec les paysans pour développer l’agriculture paysanne.
Une agriculture durable et respectueuse du territoire
Comment vos actions s’orientent elles vers le développement durable ?
Nous nous attaquons à tous les sujets liés à la destruction de l’environnement et de l’alimentation. La question est de se demander comment on arrive à faire en sorte que les fermes sur lesquelles il n’y a pas de repreneur continuent à vivre. C’est la question de la transmission.
Historiquement, au Pays Basque, les fermes se transmettaient dans la famille. L’aîné était culturellement destiné à reprendre la ferme. Mais cette tradition familiale a beaucoup diminué. Désormais, il n’y a plus assez de jeunes pour reprendre les fermes et toutes les maintenir. L’enjeu, c’est donc d’arriver à y installer des jeunes qui viennent d’ailleurs. Soit les repreneurs sont des basques non paysans. Soit, ce sont des personnes non paysannes et qui ne sont pas originaires du Pays Basque. On appelle ce public là les « hors cadre familiaux » (transmission HCF). Le but du projet financé par la Fondation Terre Solidaire est d’accompagner les paysans locaux qui ne souhaitent pas transmettre leurs fermes à l’Etat pour faciliter leurs transmissions à des repreneurs qui cultiveront en agriculture paysanne. Et ainsi éviter qu’elles soient incorporées dans de grandes parcelles de l’agro-industrie.
Ce qui lie notre projet au développement durable, c’est donc ce choix de l’agriculture paysanne. Il y a ce respect de l’environnement qui nous entoure et de sa biodiversité. Sur notre territoire, c’est une mosaïque de montagnes, de cours d’eau, de petites parcelles. Elles sont vraiment le reflet de l’agriculture paysanne avec ces questions de qualité du sol ou des eaux essentielles pour nous.
Propos recueillis par Noah Bergot