Cet article présente un compte-rendu de la conférence organisée le 10 octobre 2024 traitant de la question : le vêtement technique et durable existe-t-il vraiment ?
En cette année olympique, la Fondation Terre Solidaire, fondation reconnue d’utilité publique qui œuvre pour la transition écologique et solidaire, et Vent Debout, le podcast qui remet le sport à sa place politique, organisent un cycle de conférences intitulé “Sport & Climat”. Avec des spécialistes du sujet (chercheurs, entrepreneurs, dirigeant.es, athlètes), ces trois événements seront l’occasion de réfléchir à la relation du monde sportif avec l’écologie, dans un contexte de dérèglement climatique et sous différents aspects (économique, pratiques sportives, industriel, événementiel).
Une première conférence le 25 avril a permis d'introduire le sujet et d'évoquer les relations parfois conflictuelles entre le sport et l'écologie. La deuxième conférence en juin dernier s'est intéressée aux initiatives sportives qui ouvrent la voie à une transition écologique et sociale.
Pour sa troisième conférence jeudi 10 octobre 2024, la Fondation Terre Solidaire et le podcast Vent Debout se sont intéressés aux enjeux de l'industrie du sport face au changement climatique et plus particulièrement aux équipements sportifs avec la question suivante : le vêtement technique et durable existe-t-il vraiment ?
Réparation, circularité, recyclage… Les équipementiers sportifs sont de plus en plus nombreux à afficher des objectifs écologiques. Les enjeux sont élevés, car au-delà des dérives bien connues de la fast-fashion, le secteur doit également relever des défis techniques. D’après les infographies de l’Ademe et d’Ecolosport, environ 70 millions de barils de pétrole sont utilisés chaque année pour fabriquer les fibres de polyester qui composent la majorité des textiles de sport. Et c’est sans compter le récent scandale lié aux polluants éternels (PFAS), qui a touché le milieu de l’outdoor, grand consommateur de matières déperlantes et imperméables.
Quelles sont les alternatives au polyester, PFC, et autres matières, certes performantes, mais néfastes pour l’environnement et la santé ? Quelles pistes les équipementiers explorent-ils pour réduire leurs impacts et la consommation des pratiquants ? Au-delà des engagements et des bonnes intentions, cela implique-t-il de réinventer le modèle économique de ces entreprises ? Les athlètes égéries des marques peuvent-iels jouer un rôle ?
La matière : entre pollution et confusion
Le premier point abordé lors de la conférence a été la matière première utilisée pour la fabrication des vêtements techniques. Alexandre Fougea a souligné que la frontière entre le prêt-à-porter et les vêtements de sport était de plus en plus fine. Aujourd’hui, de nombreuses marques, notamment dans le secteur « outdoor », se retrouvent dans le quotidien des consommateurs, brouillant les lignes entre usage sportif et tendance de mode. Le fait de porter un vêtement de montagne pour aller à l’école ou au travail est aujourd’hui banalisé dans notre société. Le questionnement de l’empreinte écologique est même proche du néant dans les réflexions d’achat de la plupart des consommateurs. Souvent, ce qui est recherché chez ces vêtements de sport, ce sont leurs avantages techniques, comme par exemple un tee-shirt anti-transpirant ou une veste étanche. Cependant, la majorité des vêtements de sport sont fabriqués à partir de polyester, un matériau dérivé du pétrole qui est donc très polluant. De plus, Victoria Satto souligne la problématique du sur-lavage des vêtements. Que ce soit via le détachement des micro fibres ou des produits de lessive, le lavage d’un vêtement entraîne une forte pollution environnementale.
Elle rappelle aussi que dans le domaine du sport, près de 90 % des composants des vêtements sont issus de la pétrochimie, contre environ 65 % pour le prêt-à-porter. Le problème n’est donc pas uniquement lié à l’origine des matières, mais à leur quantité. Trop souvent, des composants non essentiels, comme les effets cirés ou des finitions esthétiques, sont utilisés au détriment de l’impact écologique. Sans réelle explication, nous pouvons également constater que le textile est un grand oublié du lobbying contre le plastique. Elle a également souligné l’absence de réglementation stricte dans le secteur, rendant difficile pour les consommateurs de s’y retrouver, notamment avec un nombre incalculable d’informations présentes sur les étiquettes des vêtements.
Quel modèle économique pour un vêtement technique et durable ?
Sans réelle explication, nous pouvons aujourd’hui constater que le textile est un grand oublié du lobbying contre le plastique. Au-delà des matériaux, le modèle économique même de la production de vêtements de sport est remis en question. Victoire Satto parle du système actuel basé sur une économie d’échelle où plus le volume produit est élevé, plus le coût est bas (et donc plus la marge est élevé pour les marques). Un tel système incite donc fortement à une surproduction. La consommation étant toujours plus élevée, la livraison de vêtement doit être de plus en plus rapide, ce qui ne facilite pas la mise en place de procédés moins polluants. La production énergétique est présente en quantité pharaonique à toutes les étapes de la production. De la récolte des matières premières, au transport, en passant par la teinture, le processus de production d’un textile est ultra polluant.
Pour contrer ce modèle, elle a évoqué des initiatives comme la location de vêtements, mise en avant par Picture par exemple. Victoire Satto a aussi mis en lumière l’économie de service. Une économie pratiquée en partie par une marque Arc’teryx. Cette dernière est par exemple la source de vêtements réparables ou garantis à vie. Le système de précommande, facilité par l’intelligence artificielle, a également été cité pour sa capacité à réduire la surproduction. Tous ces procédés, souvent intéressants, ne sont aujourd’hui qu’au stade de test. Le premier objectif serait qu’ils soient utilisés par au moins 10 % de l’industrie et de la population d’un pays. C’est à ce niveau qu’il pourrait y avoir un premier point de bascule collectif.
Malgré la récente prise de conscience du grand public sur la problématique de la production de vêtements, certains ingénieurs et scientifiques s’étaient déjà penché sur le sujet. Alexandre Fougea a par exemple parlé du travail sur la substitution des fibres de carbone par des fibres naturelles qu’il a effectué en 2007, après avoir créé sa marque Akonite. Une démarche l’a notamment amené à travailler avec des laboratoires qui cherchaient également à éviter la pétrochimie, déjà à l’époque…
Alexandre Fougea a évoqué l’initiative de Décathlon, qui pendant trois ans a collaboré avec des étudiants de l’EnsAD pour repenser la production et la consommation des vêtements de sport, avec un accent sur des solutions comme la location et l’entretien des équipements. Une collaboration qui a par ailleurs suscité le débat entre des étudiants plus ou moins engagés, sur le fait pour eux de collaborer avec une énorme marque comme Décathlon, qui produit beaucoup à l’étranger. Pour Alexandre Fougea, ce que Décathlon recherchait était aussi du domaine de « l’impalpable », avec l’émotion des étudiants.
Il a également mis en avant l’importance des influenceurs, capables de populariser des modèles plus durables.
Le vêtement technique et durable est-il une réalité ?
Si les solutions techniques et économiques ne manquent pas, comme l’ont montré les intervenants, c’est l’inertie du système qui freine la transition. Victoire Satto a parlé du « rectangle de l’inaction climatique », où les entreprises, les consommateurs, les finances et les juridictions se rejettent la responsabilité sans prendre de décisions concrètes. Pour elle, on ne manque pas de solutions, mais d’imagination et de volonté. Les paroles échangées lors de la conférence dressent le constat que la transition vers le vêtement de sport durable reste très complexe. En dépit des solutions qui ont émergées ces dernières années, l’enjeu réside principalement dans l’adoption à grande échelle de pratiques responsables. Le manque de réglementation rigoureuse et cohérente est un autre obstacle majeur. L’information sur les matériaux et les procédés reste complexe, rendant difficile pour le public de s’orienter dans les promesses parfois opaques des marques.
En conclusion, les vêtements techniques durables existent mais restent encore réservés à une minorité de consommateurs avertis. L’avenir du vêtement technique durable repose donc moins sur des innovations isolées que sur une mobilisation collective, avec pour objectif un point de bascule vers des pratiques réellement durables. La conférence s’est achevée sur cette note contrastée : « Nous entrons dans une période à la fois inquiétante et porteuse d’espoir », déclarait Alexandre Fougea. Ainsi, il est plus que jamais crucial de repenser notre manière de consommer, même dans le sport, pour aligner nos pratiques avec l’urgence climatique.
Ingénieur de l’École des Arts & Métiers et passionné de sports de glisse, Alexandre Fougea crée sa propre marque de glisse Akonite en 2003. Il imagine et réalise de nombreuses planches en matériaux composites pour les athlètes français en compétitions. En parallèle, il travaille pour différentes entreprises qui innovent dans le domaine de l’aéronautique, du nautisme, de la réseautique, du micro-outillage, du transport…
En 2008, Alexandre décide de se diversifier et de se consacrer au développement de nouveaux produits au service des marques de luxe, industriels et agences de design. La boutique Akonite à Paris, au cœur de Bastille, est alors transformée en laboratoire. Il est notamment démarché par Balenciaga et conçoit une série de plastrons en latex 3D.
En 2009, Alexandre devient enseignant en Design Objet à l’École des Arts Décoratifs – PSL et membre du laboratoire de recherche de l'école EnsadLab.
En 2013, avec sa marque Akonite, Alexandre développe et commercialise une série capsule de 12 skis de neige éco-conçus co-signées avec l’artiste plasticien Xavier Veilhan. D’autres collaborations avec des explorateurs comme Mathieu Tordeur, les Flying Frenchies voient le jour.
Convaincu de la nécessité de mêler intimement design et ingénierie dans l’ensemble de ses travaux et animé par une vision composite de la matière et du projet, Alexandre est aujourd’hui ingénieur-designer, il crée des objets et des solutions innovantes pour les marques. En tant qu'enseignant, il partage à ses étudiants cette approche hybride créative et technique, les principes de l'éco-conception, de la recherche et prend part aux différents programmes mis en place par l'École des Arts Décoratifs – PSL comme la Chaire Écodesign & Création créée en collaboration avec DECATHLON pour 3 ans, de 2022 à 2025.
Victoire Satto est fondatrice et dirigeante de The Good Goods, média et studio pour la transformation de la mode, du textile et du luxe. Docteur en médecine, elle a choisi de mettre ses compétences scientifiques au service de sa passion pour la mode. A travers des contenus et des interventions, elle accompagne l'industrie à prévenir les conséquences de ses actions sur la santé humaine et environnementale.
La conférence sera animée par Clothilde Sauvages.
Clothilde est co-fondatrice et autrice du podcast Vent Debout. Elle est également entrepreneure spécialiste des sujets de justice sociale et climatique.
Clothilde a été pendant 5 ans porte parole du collectif Ouishare et co-directrice des projets événementiels du collectif. Elle est aussi une ancienne sportive de haut niveau.
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