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Européennes : en quoi l’avenir du Pacte vert est (encore) remis en question ?

Article rédigé pour la Fondation Terre Solidaire par Aurélien Dufour

Élaboré en 2019 après les dernières élections européennes, le Pacte vert (Green Deal) est plus que jamais contesté en Europe. Les crises énergétiques et inflationnistes dues à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine ont relayé la question environnementale au second plan. Celle des agriculteurs, en début d’année, a concentré les critiques sur l’avenir du Green Deal. Son futur est au coeur des prochaines élections européennes du 6 au 9 juin.

Des bannières « À bas le Green Deal », ces affiches, brandies lors d’une manifestation d’agriculteurs en Pologne, le 10 mai, sont le symbole de toute la défiance qui règne autour du Green Deal. Ce Pacte vert européen, un ensemble de textes mis en place en 2019 pour atteindre la neutralité carbone en 2050, est au coeur des critiques depuis plusieurs mois. Les élections européennes du 6 au 9 juin 2024 revêtent une importance cruciale quant à son avenir, plusieurs eurodéputés et formations politiques ayant fait de la fin du Green Deal, un de leurs principaux objectifs.

2019 : naissance du Pacte vert, dans la foulée des Marches pour le climat

En 2019, les dernières élections européennes ont vu les partis écologistes réaliser un score historique – 13,4% pour la liste de Yannick Jadot –, surfant sur les premières Marches pour le climat. Dans ce contexte, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pose sur la table le « Green Deal ». Un ensemble de propositions législatives pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050, et faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre.

Des premiers textes sont signés. Sur le volet industriel, réforme du marché carbone, instauration d’une taxe carbone sur les importations. Sur le volet climat et énergie, le plan REpowerUE prévoit d’augmenter à 42,5% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie en 2030. L’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 est votée. Sur le volet de l’agriculture, le texte « Farm to fork » (de la ferme à la fourchette) prévoit de réduire de moitié l’usage des pesticides en 2030 ou encore d’étendre les surfaces cultivées en bio à 25%.

Crises énergétique et inflationniste : l’écologie n’est plus la priorité

Mais l’année 2022 marque un tournant. La guerre en Ukraine éclate, entraînant avec elle une crise énergétique et alimentant celle inflationniste déjà provoquée par les restrictions dues au Covid-19. La priorité, pour les pays européens, n’est plus la transition écologique mais leur souveraineté énergétique. Alors que les prix de l’électricité flambent, suite aux sanctions imposées à la Russie, l’Allemagne par exemple fait le choix de rouvrir des centrales à charbon, allant en sens inverse au Green Deal.

En France, Emmanuel Macron appelle le 11 mai 2023 à « une pause réglementaire » quant aux normes environnementales. « N’en rajoutons pas plus », lançait le président de la République, rappelle Le Monde.

Le 29 juin, c’est au tour de Chypre, la Lettonie, la Suède, la Grèce, l’Autriche, la Finlande, la Croatie et l’Irlande de demander « une pause réglementaire » quant au Green Deal, et de « tenir compte des nouvelles réalités économiques et sociales après l’attaque de la Russie » contre l’Ukraine, relaie toujours Le Monde.

À l’échelle européenne, l’alerte est lancée. Le patronat européen signale la baisse de compétitivité de l’Europe, soulignant que les investissements se détournent vers les États-Unis et autres pays étrangers, où les normes environnementales sont moins nombreuses et contraignantes. À la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen cède. Elle renonce à plusieurs nouveaux textes pouvant s’inscrire dans le Green Deal comme sur le bien-être animal, les systèmes alimentaires durables. En novembre 2023, la Commission européenne prolonge pour dix ans l’utilisation du glyphosate.

Crise des agriculteurs : l’écologie présentée comme l’ennemie

L’opposition au pacte vert atteint son apogée début 2024. Aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, en France et dans d’autres pays européens, des agriculteurs défilent en tracteurs, bloquent les axes autoroutiers, pour exiger une meilleure rémunération ainsi qu’un allégement des normes, notamment environnementales, qui pèsent sur eux, et non sur leurs concurrents sudaméricains ou ukrainiens.

L’ampleur de la contestation entraîne Ursula von der Leyen à rétropédaler sur son Green Deal, et notamment la stratégie « Farm to fork », en faisant voter une mini-réforme de la PAC (Politique Agricole Commune) la vidant de ses quelques mesures environnementales. Car déjà en 2019, au moment du vote du texte « de la ferme à la fourchette », ses principaux objectifs n’avaient pas été inscrits au sein de la PAC pour la période 2023-2027.

Comme déjà documenté par la Fondation Terre Solidaire, l’écologie a été épinglée comme l’ennemie de l’agriculture, alors que l’enjeu est justement de transformer ce modèle productiviste en un fonctionnement plus respectueux de l’environnement. Notamment par l’extrême-droite, selon Philippe Lamberts, président du groupe des Verts au Parlement européen. « La droite et l’extrême droite ont fait du combat contre les écologistes leur nouvel horizon. Leur cible c’est la transition écologique, la meilleure illustration étant leur instrumentalisation de la révolte des agriculteurs pour remettre en cause le Pacte vert », estime-t-il auprès de l’AFP. « Il y a une tentative de la droite, de l’extrême droite et des libéraux, de dire ‘‘les gens en ont marre de l’écologie, il faut une pause environnementale’’ », abonde Mélanie Vogel, vice-présidente du Parti vert européen.

« Si c’est la droite ou l’extrême-droite qui l’emporte, il n’y aura plus de Pacte vert »

Dès lors, le résultat des élections européennes fait craindre le pire pour l’avenir du Pacte vert, selon les écologistes. « Si c’est la droite ou l’extrême-droite qui l’emporte, il n’y aura plus de Pacte vert », estime Marie Toussaint à Politico. Une impression confirmée par les principaux visés. « Le Pacte vert est mort… tout va être détricoté », planifie déjà un conseiller de Marine Le Pen, toujours auprès de Politico. Anna Sander, eurodéputée et candidate Les Républicains, souhaite « donner un coup de frein » au Green Deal, car « le monde agricole est à la rue ». Tout cela relève d’un « calcul électoraliste » selon Neil Makaroff. « Ces partis-là ont monté en épingle le secteur agricole contre le Pacte vert, alors même qu’il ne touche pas vraiment le secteur de l’agriculture jusqu’à présent », juge le directeur du think-tank climatique bruxellois Strategic Perspectives.

La crainte de Marie Toussaint et des autres partis écologistes repose notamment sur les clauses de révision que comportent une grande partie des textes du Green Deal. En cas de changement de majorité, certains textes pourraient être retoqués, comme celui prévoyant la fin de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035.

Au-delà d’un changement de majorité, l’attitude d’Ursula von der Leyen peut être déterminante quant au futur du Pacte vert. La présidente de la Commission européenne, qui est à l’origine du Green Deal, est candidate à sa réélection. « Ursula fera ce qu’il faut pour être élue par le Parlement européen. Si une majorité d’élus conditionnent leur vote à des concessions sur tel ou tel volet du Green Deal, elle s’y pliera. », estime un commissaire européen relayé par Le Monde.

Alors que l’acte II du Pacte vert – celui censé accélérer la transition écologique – n’est pas encore lancé, la survie du Green Deal n’a jamais été autant en sursis. Figure de proue en 2019, la question environnementale a été successivement délaissée de crises en crises, du Covid-19 aux agriculteurs, et les prochaines élections européennes pourraient constituer un tournant quant à la place de la transition écologique au sein de l’Union Européenne.

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