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Quelles sont les raisons de fond de la crise agricole ?

Article rédigé pour la Fondation Terre Solidaire par Aurélien Dufour, étudiant à l’Ecole de journalisme de Cannes

« Mise à l’arrêt » du plan Ecophyto, suppression de la fiscalité sur le GNR… Pour tenter de résoudre la crise agricole, le gouvernement a annoncé des mesures allant à contresens de la transition écologique. La Fondation Terre Solidaire estime que ces mesures occultent les raisons de fond de la crise agricole, et contribuent à opposer agriculture et écologie.

crise agricole

Vendredi 2 février, la FNSEA (Fédération nationale des Syndicats d’Exploitants agricoles) et les Jeunes Agriculteurs – les deux plus importants syndicats agricoles – ont appelé à « suspendre les blocages ». La veille, jeudi 1er février, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé une deuxième salve de mesures pour répondre à la crise agricole. Parmi elles, « la mise à l’arrêt » du plan Ecophyto, censé fixer des objectifs de réduction d’usage de certains pesticides. Auparavant, la hausse de la taxation sur le gazole non-routier (GNR) utilisé par les
agriculteurs avait été supprimée par Gabriel Attal, le 26 janvier. Marc Fesneau, lui, avait obtenu de l’Union Européenne (UE) une rallonge sur la dérogation aux jachères sous conditions, le 31 janvier.

En se satisfaisant de la mise en pause du plan Ecophyto, la Fondation Terre Solidaire estime que la FNSEA « détourne volontairement l’attention sur la racine des problèmes de l’agriculture » « En cédant aux arguments des tenants d’une agriculture industrielle, le gouvernement occulte volontairement du débat public la dangerosité des produits phytosanitaires pour la santé humaine, dont celle des agriculteurs, et pour l’environnement » poursuit Philippe Mayol. Et le directeur général de la Fondation d’ajouter : « Ces décisions gouvernementales viennent creuser encore davantage le fossé entre agriculture et protection du vivant. »

Dès lors, l’écologie semble dépeinte comme la principale ennemie de l’agriculture. Mais il importe également de s’intéresser aux raisons de fond ayant poussé les agriculteurs et agricultrices à bloquer les axes routiers.

Des politiques libérales favorisant le libre-échange… et la concurrence déloyale

Une première raison ayant motivé le monde agricole à quitter les fermes pour les autoroutes réside dans l’accord entre l’UE et le Mercosur. Cet accord, permis par des politiques libérales, est le fruit de négociations entre l’UE et les pays formant le Mercosur : le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.
L’objectif ? Favoriser l’importation de produits agroalimentaires sud-américains en réduisant voire supprimant les droits de douane et en fixant des quotas de produits importés, notamment sur la viande bovine ou la volaille. « Le contenu de l’accord n’est en rien compatible avec les objectifs de transition écologique et sociale que l’UE prétend promouvoir », alarme l’Institut Veblen.
Concrètement, cet accord s’oppose aux objectifs de développement durable puisqu’il facilite l’importation de produits par les mers et les airs et ainsi augmente considérablement les émissions en gaz à effet de serre. De plus, cet accord passe sous silence les politiques de déforestation du Brésil particulièrement en leur offrant des débouchés de vente en Europe, poursuit l’Institut.

Conclu en juin 2019, cet accord n’est pas encore finalisé et fait toujours l’objet de négociations entre les deux parties. Si l’UE et les pays du Mercosur espèrent avec ce potentiel accord faciliter et multiplier leurs échanges commerciaux, les agriculteurs, eux, y voient surtout le risque d’une concurrence déloyale. Les exploitations sud-américaines – déjà plus grandes et plus nombreuses – ne sont en effet pas soumises aux mêmes normes, notamment sanitaires et environnementales, que celles françaises.

Ces normes européennes sont notamment définies par la Politique agricole commune (PAC), qui conditionne l’octroi d’aides financières au respect de ces normes. Depuis 2018, La PAC subventionne les États-membres qui distribuent ces aides financières selon le respect du Plan stratégique national (PSN), la feuille de route propre à chaque État de l’application des directives européennes.
Le PSN français est d’ailleurs jugé insuffisant par plusieurs associations écologistes, dont le Collectif Nourrir.

Certains agriculteurs français peuvent ainsi bénéficier de l’éco-régime, l’aide financière environnementale de la PAC, sous conditions. La principale consiste à être certifié par le label Haute Valeur environnementale. Pour cela, les fermes doivent se conformer sur seulement quatre indicateurs : phytosanitaire, biodiversité, fertilisation et irrigation. Or, les conditions pour être conforme ne sont pas à la hauteur selon le Collectif Nourrir, qui milite pour « faire valoir l’ambition d’une PAC plus verte et plus juste ». « L’introduction de nouveaux indicateurs aurait été bienvenue pour intégrer de nouveaux enjeux tel que le changement climatique ou le bien-être animal », poursuit l’association.

Le Collectif Nourrir, également membre du comité de suivi du PSN, dénonce également la dérogation d’un an accordée à certaines exploitations certifiées HVE sur un précédent cahier des charges et qui ne se sont pas encore mis à jour au niveau des nouveaux critères. Concrètement, ces exploitations peuvent continuer à bénéficier de l’éco-régime alors qu’elles ne remplissent pas encore les nouveaux critères. Ces normes ne permettent pas à la transition écologique de se mettre en place au sein de l’agriculture estime le Collectif.

La crise agricole est avant tout une crise sociale et économique

L’autre principale raison de cette crise agricole et la question de la rémunération des agriculteurs. Les prix de vente en rayon des viandes, volailles, fruits et légumes sont déterminés lors de négociations annuelles entre les grandes distributions (Auchan, Intermarché, Carrefour, Leclerc…) et les industries de l’agroalimentaire, auxquelles les agriculteurs ont vendu leurs produits. Les agriculteurs, eux, sont absents de ces négociations, et ne reçoivent qu’une part infime du prix de vente.

Pour garantir une rémunération juste des agriculteurs et des éleveurs, deux lois dites Egalim (États généraux de l’alimentation) ont été adoptées en 2018 et 2021. Concrètement, les grandes distributions doivent réaliser une marge d’au moins 10% sur les produits agroalimentaires, pour éviter de mettre la pression sur les industries et les agriculteurs en essayant de resserrer leur marge (Egalim
1
). De plus cette loi prévoit, en principe, l’impossibilité de négocier sur les coûts de productions des agriculteurs. Ceux-ci doivent donc impérativement être pris en compte dans le prix de vente (Egalim 2).

Si l’efficacité et la pertinence de ces lois sont remises en question par certains agriculteurs, ce sont surtout des doutes sur leur application qui existent chez les éleveurs, alors que les grandes distributions cherchent à réduire au maximum les prix de vente à l’heure de l’inflation. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a toutefois promis plus contrôles et des sanctions envers les industriels
récalcitrants, sur Europe 1.

Emmanuel Macron, lui, a exprimé son souhait, jeudi 1er février, de mettre en place un « Egalim européen » pour éviter le contournement des lois françaises en passant par des centrales d’achat européennes.

Pour s’adapter à la transition écologique, les agriculteurs manquent de moyens

Alors que le dérèglement climatique se concrétise de plus en plus, concilier l’environnement et la productivité des agricultures devient essentiel, estime la Fondation Terre Solidaire. L’UE a abordé le sujet avec ses normes détaillées au sein de la PAC et du Green Deal. Mais la transition écologique doit être menée de façon juste pour éviter une « sur-responsabilisation » de certains secteurs, dont l’agriculture paysanne.

Pour s’adapter à cette transition, les agriculteurs doivent changer leurs façons de cultiver ou d’élever. « Mais la transition agroécologique coûte chère et n’est pas possible pour la majorité des petites exploitations qui n’ont pas les ressources financières nécessaires », évoque Philippe Mayol. « L’État et l’UE doivent financer ces transitions au même titre que l’État finance la transition d’autres secteurs économiques», ajoute le directeur général de la Fondation Terre Solidaire. « Sans ces aides financières, une transition juste et profonde du modèle agricole n’est pas possible. »

Les mesures environnementales, bien que nécessaires pour l’avenir de la planète et de l’agriculture, ont aggravé une situation déjà fragile

Ainsi, le monde agricole français est fragilisé par la menace d’une concurrence déloyale avec l’accord du Mercosur et le non-respect des loi Egalim censées garantir une rémunération juste des agriculteurs. Les mesures environnementales – nécessaires vu l’accélération du dérèglement climatique – prises par l’UE et la France viennent ainsi aggraver une situation déjà fragile.

Dans la dernière version de la PAC, l’UE a introduit plusieurs normes environnementales comme la diversité des cultures des sols, l’obligation d’avoir une part de prairie ou encore de devoir couvrir les sols en hiver pour obtenir ses aides, cite Le Parisien. D’autres mesures concernant l’agriculture pour réduire la pollution, l’usage de pesticides et préserver la biodiversité sont prévues avec le Green Deal européen.

En France, le gouvernement, par la voix de Bruno Le Maire en septembre 2023 sur France Info, avait initialement décidé de fiscaliser davantage le gazole non- routier utilisé par les agriculteurs, qui jusque-là était relativement épargné par les taxes (seules la TVA et la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques s’appliquaient). Mais le 26 janvier 2024, Gabriel Attal a finalement décidé de rétropédaler.

Toutefois, ces mesures, en plus d’être essentielles pour l’avenir de la planète, le sont aussi pour le futur de l’agriculture, en cherchant à protéger la biodiversité. Celle-ci pérennise les cultures et les élevages grâce aux pollinisateurs, notamment les abeilles, ou aux prédateurs luttant contre la prolifération des ravageurs de culture.

Plus généralement, l’agriculture est l’un des secteurs les plus touchés par les conséquences du dérèglement climatique : la sécheresse, les inondations ou encore la grêle entraînent des pertes de récoltes. La transition écologique est donc nécessaire à l’avenir de l’agriculture, et non un frein ou un obstacle.

Alors que le Salon de l’Agriculture débute dans moins de quinze jours, Emmanuel Macron reçoit cette semaine les différents syndicats agricoles à l’Élysée, pour la première fois depuis le début de la crise. L’occasion, peut-être, d’en aborder les raisons profondes.

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire