Un article de Heloïse Kling, étudiante en Licence de gestion à l'Université Paris Dauphine
Pour la première fois, la consommation de textile en Occident régresse. D’ici quelques années, le marché de la seconde main devrait même dépasser celui de la « fast-fashion ». Pourtant, la bataille pour une mode durable et responsable est loin d’être gagnée. Chaque année, le secteur textile génère environ 36 milliards d’euros, soit l’équivalent d’1,7% du PIB français en 2013.
Le problème de la fast-fashion
Une première précision s’impose : qu’entend-on exactement par le terme de « fast-fashion » ? Apparue dans les années 1990, l’expression désigne les pratiques des grandes marques du textile, qui proposent des nouvelles collections de façon toujours plus récurrente. Le but des marques, en renouvelant frénétiquement leur offre, est de tenir en haleine les consommateurs, qui se retrouvent piégés dans la spirale infernale de l’achat à outrance.
Le problème, c’est que cette surconsommation n’est pas sans conséquence. Deuxième industrie la plus polluante après le pétrole, l’industrie textile représente près de 10% des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Par ailleurs, elle est particulièrement gourmande en eau. Par exemple, la fabrication d’un jean peut nécessiter jusqu’à 10 000 litres d’eau ; soit l’équivalent de 285 douches !
Outre l’utilisation abusive d’eau, les matières utilisées présentent aussi un problème de traçabilité. Comment une enseigne de fast-fashion peut-elle parfaitement connaitre l’origine de l’ensemble des matières qu’elle utilise, alors même qu’elle peut posséder des centaines, voire des milliers de fournisseurs différents ? D’autant plus que ces fournisseurs sont généralement étalés aux quatre coins du monde, ce qui affecte grandement l’empreinte carbone d’un simple vêtement. Pour reprendre notre exemple, un jean peut parcourir 65 000 kilomètres avant d’arriver en magasin.
Ainsi, même lorsque les grands groupes du textile l’assurent, il est impossible de garantir une parfaite traçabilité des matières. Cela est également révélateur de leur manque de transparence, comme on a pu l’observer avec le scandale autour du traitement de la communauté ouïghoure. Mais la fast-fashion pose aussi un autre problème, cette fois-ci social : pour pouvoir proposer des prix bas et solder en permanence, il faut réduire drastiquement les coûts. Et ceci passe notamment par l’exploitation des travailleurs. Nous avons tous déjà vu des photos d’ouvriers souriants sur les sites Internet des grandes marques. Si ces images dérangent, c’est parce qu’on sait ce qui se cache derrière. Et cela ne passe plus : aujourd’hui, les consommateurs sont de plus en plus soucieux de leur impact. Mais consommer de manière responsable, est-ce si simple ?
En effet, de toutes parts, les marques « classiques » incitent à l’achat par diverses stratégies marketing.
D’abord, le principe de la mode, c’est de se renouveler en permanence, de suivre la tendance… mais ce sont justement les marques de fast-fashion qui ont créé ce principe. En outre, la plupart des marques de fast-fashion ne font que copier de grandes marques, et certaines emploient même des personnes pour faire du repérage dans les boutiques. En ce sens, elles encouragent l’ultra fast-fashion ; car pour ne pas être copié, il faut sans cesse proposer quelque chose de nouveau. Certaines marques commercialisent plus de 500 nouvelles références par semaine !
Ce renouvellement permanent des collections va de pair avec une pression à l’achat. C’est le biais de rareté : en jouant sur le côté éphémère des collections, les marques créent chez le consommateur un désir immédiat. Cet effet est accentué par les affichages pressants sur les sites internet (« Vite ! Plus que 3 produits en stock ! »), la livraison « gratuite » ou encore les promotions à outrance. Rappelons une chose : pour proposer la livraison gratuite, les marques internalisent en fait le coût dans le prix des produits. De plus, la plupart des promotions proposées ne sont qu’un leurre : la preuve en est, on les retrouve toute l’année ; ce qui signifie que les firmes gonflent leurs prix pour augmenter leur chiffre d’affaires… Voilà pourquoi aucune marque ne peut se revendiquer éthique, juste, ou responsable, et en même temps brader tous ses prix.
Une alternative à la fast-fashion : le marché de la seconde main
Face à toutes ces limites, le meilleur moyen de produire de façon responsable serait donc… de ne pas produire du tout. C’est tout l’avantage de la seconde main : puisque rien de nouveau n’est produit, l’impact écologique est réduit.
Quand on pense seconde-main, on pense bien évidemment aux géants comme Vinted, Thred Up ou leboncoin ; mais il existe de nombreuses autres entreprises, comme la friperie en ligne Once Again, le site Il était une fois qui commercialise des produits faits mains ou d’occasion, ou encore le site de seconde main Patatam, qui propose également des vêtements pour enfants.
Ces options semblent séduire toujours plus de consommateurs, et Thred Up estime même qu’en 2028, le marché de la seconde main dépassera celui de la fast fashion. Au-delà de l’aspect écologique, ce qui séduit dans ce mode de consommation, c’est aussi son caractère plus authentique, plus original. C’est, au fond, la remise en question d’un modèle ultracapitaliste dans lequel on achète, on porte à peine, et on jette. En moyenne, un vêtement n’est porté que 5 à 10 fois ! L’achat est désinvesti de sens, l’objet n’a plus de véritable valeur. D’où un regain d’intérêt pour les friperies, les applications de revente de vêtements d’occasion, ou encore le fait-main. Autrement dit, pour les vêtements qui ont une histoire.
Cela signifie-t-il pour autant qu’on ne peut pas produire responsablement ?
De nouveaux entrepreneurs pour une mode durable et responsable
Certes, dans l’absolu, la meilleure solution serait de s’adonner exclusivement à ces alternatives. Pour autant, envisager que l’ensemble de la population se convertisse à ces modes de consommation du jour au lendemain est un peu ambitieux, voire utopique.
Et puis, ce n’est pas parce que la plupart des grandes marques adoptent de mauvaises pratiques que c’est aussi le cas des nouveaux entrepreneurs. En effet, la prise de conscience qui impacte les consommateurs est aussi une source d’inspiration pour créer de nouveaux modèles de production comme le upcycling. La difficulté principale réside alors dans la capacité à distinguer les entrepreneurs au réel engagement éthique, et ceux qui ne l’utilisent qu’à des fins marketing. Nombreuses sont les marques qui pratiquent le greenwashing ou se vantent d’une parfaite transparence quand, en réalité, ce n’est qu’une façon d’attirer de nouveaux clients.
En outre, aujourd’hui, de nombreux labels se sont apposés sur les vêtements. La question est donc : peut-on leur faire confiance ? Le tout est de savoir exactement ce que garantit le label. Certains portent sur les matières utilisées, d’autres sur les conditions de travail, le respect des normes sociales, l’absence de pesticides et de produits chimiques… Il n’est pas toujours évident de s’y retrouver. C’est la raison pour laquelle des entrepreneurs ont développé des outils, pour aider le consommateur à comprendre le véritable impact d’une enseigne. C’est par exemple le cas de l’application Clear Fashion, qui note les marques selon divers critères et permet donc d’identifier celles qui sont les plus respectueuses de l’environnement.
Si les grandes marques « ancestrales » ont certes progressé sur certains aspects, il en ressort néanmoins que les marques les plus éthiques sont de jeunes marques. La plupart du temps, ces nouveaux acteurs ne pratiquent pas les méthodes traditionnelles de mise en avant des produits. Ils promeuvent au contraire un achat responsable, sans pousser à la surconsommation, avec moins de publicité, comme le fait la marque de vêtements éthiques Loom. Par-dessus tout, elles s’opposent au concept de fast-fashion en proposant des collections permanentes, ou en tout cas moins changeantes. Et cela fonctionne ! Les consommateurs semblent être au rendez-vous, ce qui prouve à nouveau que les consciences s’éveillent.
En d’autres termes, nous avons tous, en tant que consommateurs, notre rôle à jouer dans le changement pour une mode durable et responsable. Mais tant que les marques n’en font pas autant, un véritable changement structurel ne sera pas possible. Il faut soutenir les entrepreneurs responsables afin de développer une réelle conscience écologique des marques. La révolution écologique de l’industrie textile, c’est certes produire moins, mais aussi produire mieux.
Sources :
Le marché de la fripe dépassera celui de la fast fashion en 2028 (linfodurable.fr)
Les 12 labels de la mode responsable – Happy new green
Les industries de la mode dans l'économie française (cci-paris-idf.fr)(368) Comment s'habiller de façon écoresponsable - YouTube