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#3 Conférence Jeunes et climat : un nouveau rapport des jeunes à l’entreprise au regard de la crise climatique ?

Pour la 3ème conférence du cycle de conférences de la Fondation Terre Solidaire intitulé « Jeunes et climat », les intervenants ont abordé la question du rapport des jeunes à l’entreprise au regard de la crise climatique.

Le 13 mars 2023, la Fondation Terre Solidaire inaugurait son 3ème cycle de conférences intitulé « Jeunes et climat ». La Fondation Terre Solidaire a choisi d’orienter son 3ème cycle autour de la génération climat. A travers plusieurs conférences, la fondation donne la parole aux jeunes ainsi qu’aux différents mouvements afin de mieux comprendre leur engagement pour le climat.

Lors de la 1ère conférence Jeunes et climat en mars 2023 « Existe-t-il une génération climat ?« , Maxime Gaborit pointait l’existence de plusieurs dynamiques quant au rapport des salariés à leur entreprise :

  • Certains salariés changent radicalement de voie professionnelle pour s’investir ailleurs.
  • D’autres travaillent dans des entreprises qu’ils jugent plus soutenables et éthiques.
  • Certains essaient de transformer les entreprises de l’intérieur.

C’est cette 3ème voix qui a été exploré lors de cette conférence avec Pauline Jouy, co-fondatrice de l’association Les Collectifs et Cheffe de projet formation à la transition écologique à Véolia, et Gauthier Delozière, doctorant en théorie politique à Sciences Po et membre du collectif Quantité Critique. La table ronde était animée par Jean Vettraino, Vice-président de la Fondation Terre Solidaire et Directeur de la mobilisation citoyenne au sein du CCFD-Terre Solidaire.

La bifurcation des étudiants, un biais médiatique

La désertion potentielle des étudiants des grandes écoles vis-à-vis des entreprises et des secteurs qui ne s’engagent pas activement dans la transition écologique a été mise en avant par des étudiants de grandes écoles lors de cérémonies de remise de diplômes, ainsi que par des membres du « Manifeste étudiant pour un réveil écologique » en 2018. Certains étudiants, notamment ingénieurs, semblent prêts à boycotter leurs futurs employeurs pour rejoindre des initiatives locales axées sur l’écologie ou la communauté.

Les médias se sont particulièrement intéressés à ces prises de parole d’étudiants issus de grandes écoles en raison de leur capital symbolique et de leur visibilité médiatique. Cependant, Gauthier Delozière souligne que cette désertion n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’écologie politique en France, qui a souvent cherché à rompre avec le salariat et la croissance économique. L’écologie politique a historiquement prôné une réduction radicale du temps de travail et un retour aux modes de subsistance locaux.
Il cite une enquête menée par le collectif « Quantité Critique » dont il fait partie, montrant que la majorité des signataires du Manifeste étudiant pour un réveil écologique ne cherchent pas nécessairement à quitter le monde de l’entreprise, mais plutôt à trouver des emplois dans le secteur public, associatif ou de plus petites entreprises. Les signataires sont souvent politiquement engagés à gauche et actifs dans le mouvement climatique. Il existe une réflexion plus profonde dans le monde du travail sur la conciliation des convictions écologiques avec la carrière professionnelle.

Pauline Jouy illustre les propos de Gauthier Delozière en soulignant la diversité générationnelle au sein des Collectifs, mettant en avant qu’il ne s’agit pas seulement de jeunes écologistes. Les membres couvrent une large gamme d’âges, y compris des personnes en préretraite, ce qui en fait un groupe intergénérationnel. Cette diversité montre que l’engagement ne se limite pas à une génération spécifique, contredisant l’idée que la question environnementale serait principalement portée par les jeunes. De plus, les membres ne sont pas seulement des récents diplômés. Beaucoup ont déjà acquis une certaine expérience professionnelle et de la maturité dans leur domaine.

S’engager écologiquement au sein de l’entreprise

En avril 2021, plusieurs personnes issues de différentes entreprises ont fondé l’association Les Collectifs. Ils ont constaté que dans chacune de leurs entreprises, des groupes de collaborateurs s’engageaient en proposant des actions liées à la sensibilisation environnementale, à l’adoption de comportements écologiques, ou à la remise en question des pratiques sur leurs lieux de travail. Ces initiatives visaient à influencer positivement leurs employeurs, les encourageant à adopter des pratiques plus vertueuses et à revoir leur modèle économique.

Face à l’urgence environnementale, les fondateurs de l’association, dont fait partie Pauline Jouy, estiment qu’il est essentiel de ne pas quitter leurs entreprises, car elles ont besoin de collaborateurs formés et engagés pour opérer des transitions écologiques et sociales. Ils ont publié une tribune dans Les Echos prônant l’idée que les entreprises doivent s’appuyer sur leurs employés pour mener ces transformations cruciales. Ils ont également mis en avant le potentiel considérable des collaborateurs déjà engagés, ainsi que de ceux qui pourraient s’impliquer davantage dans ces efforts.

Gauthier Delozière souligne que lorsque l’on considère Les Collectifs, c’est-à-dire des salariés qui se regroupent pour influencer positivement les entreprises de l’intérieur, on peut s’interroger sur leur ampleur et leur durabilité en tant que mouvement. Une perspective intéressante est celle des « radicaux tempérés », un terme qui émerge dans les années 90. Pendant longtemps, on a perçu une opposition entre le monde militant et le monde économique, où les militants tentaient de faire pression sur les entreprises de l’extérieur par le biais de boycotts, de campagnes de pression sur l’État pour réguler les entreprises, etc.
Cependant, avec la mondialisation et le pouvoir croissant des entreprises au-delà des frontières nationales, certaines personnes ont choisi de s’engager au sein des entreprises elles-mêmes. Les « radicaux tempérés » se situent à la frontière entre le monde militant et le monde économique, cherchant à faire le lien entre les deux dans une sorte de double allégeance. Ils restent fidèles à leur organisation tout en s’engageant parallèlement dans des causes telles que l’écologie, le féminisme, l’antiracisme, etc. Ils tentent de faire évoluer l’entreprise en utilisant cette double loyauté.

Pauline Jouy mentionne que le terme « radicaux » au sens de « racine » est approprié pour décrire leur engagement. Ils cherchent à être sur une « ligne de crête », c’est-à-dire à maintenir un équilibre entre différents points de vue et à dialoguer entre acteurs qui peuvent avoir des opinions divergentes sur la façon de faire évoluer les entreprises. Ils ne veulent pas être simplement d’un côté ou de l’autre, mais plutôt maintenir cet équilibre dynamique pour favoriser le dialogue et le changement.
Elle insiste sur la complexité des entreprises et des prises de décision en leur sein, avec des enjeux contradictoires à gérer. Pour illustrer cette complexité, elle mentionne un exemple chez Veolia où la dépollution implique la combustion de matières polluées à haute température, ce qui peut être préjudiciable à l’empreinte carbone. Cela montre à quel point il est difficile de trouver des solutions simples au sein des entreprises. La complexité du monde de l’entreprise nécessite du temps pour identifier les points d’action et les leviers pour opérer des changements bénéfiques pour l’environnement.

Remord écologique, sens au travail ou préoccupation environnementale ?

Gauthier Delozière mentionne l’enquête « Conditions de travail » de la DARES en 2019 qui a révélé des résultats intéressants quant au ressenti des salariés vis-à-vis de l’impact écologique de leur travail. Selon l’ouvrage de Coralie Perez et Thomas Coutrot intitulé « Redonner sens au travail », il apparaît que 31% des salariés interrogés éprouvent des remords écologiques liés à leur emploi. Ce sentiment ne dépend pas significativement de l’âge des travailleurs, mais plutôt du secteur professionnel dans lequel ils évoluent, c’est-à-dire de la nature de leur métier.

Pauline Jouy explique que le remord écologique, qui peut être associé à une forme de dissonance cognitive, n’est pas nécessairement un moteur pour les membres des Collectifs. Au contraire, cela peut être quelque chose qui draine leur énergie, leur joie et leur motivation. Le principal moteur pour les personnes qui décident de s’engager au sein de leur entreprise pour des causes écologiques ou environnementales est la préoccupation environnementale elle-même. Et Les Collectifs offrent un nouveau souffle aux membres en les incitant à passer à l’action, ce qui est considéré comme la meilleure réponse à l’éco-anxiété. Les victoires, même petites, ainsi que le soutien au sein du collectif, permettent aux membres de partager leurs émotions, leurs préoccupations et leurs joies liées à leurs préoccupations environnementales. Cela est particulièrement précieux pour ceux qui se sentent parfois isolés dans leur cercle familial ou d’amis en raison de leur conscience écologique.
Les Collectifs ont émergé dans de nombreuses entreprises en réponse à cette prise de conscience individuelle. Ces personnes ont ressenti le besoin de faire quelque chose, de s’engager, et de contribuer au changement depuis l’intérieur de leurs entreprises. En fin de compte, c’est la volonté d’agir et de faire une différence qui les pousse à rejoindre Les Collectifs, car leur entreprise devient un terrain d’action immense pour eux.

Gauthier Delozière explique que les ressorts de l’engagement en entreprise diffèrent légèrement de ceux qui poussent les gens à s’engager dans l’espace public, comme lors des marches pour le climat. Selon lui, les enquêtes montrent que la conscience environnementale n’est pas nécessairement le facteur déterminant pour l’engagement en entreprise. Au contraire, c’est souvent l’expérience au travail qui conduit les gens à ressentir un « remord écologique ». Il y a également une divergence de conscience entre les catégories sociales, avec les ouvriers, les employés, et les agriculteurs étant davantage enclins à ressentir un remord écologique, en raison de conditions de travail souvent précaires et dangereuses. En revanche, les cadres, les ingénieurs et les cadres commerciaux travaillant dans des secteurs comme le BTP ou la communication sont plus enclins à déclarer des remords écologiques, et ces remords sont souvent liés à une quête de sens au travail. Les discussions entre collègues, en particulier dans les espaces de travail ouverts, semblent jouer un rôle dans la conscientisation collective. Pour ces catégories sociales, l’impact environnemental de leur travail peut remettre en question l’utilité sociale de leur emploi, créant ainsi une forme de continuité avec les préoccupations précédentes liées à la quête de sens au travail et à l’utilité sociale des emplois. En somme, la conscience environnementale est influencée par l’expérience de travail et la position sociale au sein du monde du travail.

Encourager les complémentarités pour accélérer la transition écologique

Dans le contexte du mouvement climat, il y a eu une radicalisation progressive, avec certains considérant que les manifestations avaient réussi à mettre la question climatique à l’agenda médiatique et politique. Tandis que d’autres estimaient que des actions plus radicales étaient nécessaires pour créer un rapport de force et obtenir des résultats concrets. Certains auteurs, comme Andreas Malm, ont proposé la théorie du flanc radical, suggérant que la présence d’un flanc radical pouvait renforcer la position du flanc modéré en incitant les décideurs à chercher le compromis. Aujourd’hui, il existe un débat au sein des mouvements écologiques sur la complémentarité entre les différentes approches, reconnaissant que la diversité des modes d’engagement peut renforcer le mouvement dans son ensemble.

L’engagement des salariés au sein de l’entreprise peut être compliqué, car ils se trouvent souvent dans une posture salariale plutôt qu’une posture citoyenne. Les Collectifs offrent un espace où les personnes désireuses de s’engager peuvent échanger et résoudre cette difficulté. S’engager au travail est de plus en plus dans l’air du temps, notamment avec l’évolution des attentes des employés, qui souhaitent exprimer leurs valeurs et convictions, et ne pas être de simples clones au bureau. Par ailleurs, le dialogue entre les collectifs, les syndicats et d’autres acteurs est essentiel pour créer des synergies et développer des stratégies pour promouvoir la transition écologique au sein des entreprises.

L’impact de la quantité de personnes nécessaire pour provoquer des changements positifs au sein d’une entreprise varie d’une entreprise à l’autre. Il n’y a pas de chiffre universel comme les 10% mentionnés dans la Harvard Business Review. Dans Les Collectifs, Pauline Jouy mentionne qu’il existe des groupes comptant plusieurs milliers de membres, ce qui peut constituer une masse critique pour provoquer des changements. Cependant, il est également essentiel de prendre en compte l’endroit où se trouvent les personnes influentes au sein de l’organisation. Parfois, quelques individus au sommet de la hiérarchie peuvent suffire pour déclencher des changements importants. En fin de compte, comme le souligne Gauthier Delozière, il n’y a pas de formule magique pour le changement. Chaque mouvement social doit développer des tactiques et des stratégies spécifiques pour faire avancer sa cause. Le mouvement écologique actuel comporte différentes approches, de la radicalité marginale à des formes d’engagement non marginale, telles que le syndicalisme, qui peuvent toutes contribuer au changement.

En conclusion, il existe effectivement un mouvement de fond au sein du monde du travail, en particulier parmi une fraction de la jeunesse hautement diplômée, qui se mobilise activement pour la transition environnementale. Cet engagement est une ressource fondamentale pour la bifurcation collective vers des modes de production plus durables.
Cependant, il est important de reconnaître les limites de ces initiatives, notamment en raison de l’inertie des grandes organisations et des logiques managériales ou actionnariales préexistantes. Pour aller plus loin, il peut être nécessaire de repenser la place de la puissance publique et d’examiner comment elle peut intervenir pour accompagner certains secteurs dans leur transition écologique.

Pauline Jouy a porté les sujets de développement RH, d’intrapreunariat et de gestion des talents au sein de diverses entreprises sur des périmètres internationaux. A la suite d’un déclic écologique très fort, elle a co-fondé l’association LES COLLECTIFS, le réseau des collectifs de salariés engagés pour l’environnement au sein de leur entreprise. Elle travaille désormais sur les sujets de transformation écologique à la direction formation du groupe Veolia.

Gauthier Delozière est diplômé de Sciences Po Paris (campus franco-allemand de Nancy) et de la Freie Universität Berlin, où il a obtenu un double Bachelor en sciences sociales et en science politique. Il est également titulaire d’un Master de recherche en science politique (mention théorie politique) de Sciences Po Paris. Doctorant en théorie politique à Sciences Po et membre du collectif Quantité Critique, son projet de recherche examine les implications écologiques d’une « démocratisation du travail ».

Diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Jean Vettraino a été enseignant d’histoire géographie dans le secondaire. Il a ensuite travaillé cinq ans au sein de la Direction internationale du Secours Catholique – Caritas France. Il a rejoint le CCFD-Terre Solidaire en 2019, à la tête de la Direction de la mobilisation citoyenne, en charge du réseau de bénévoles en France, des campagnes et des dynamiques d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire