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Devenir gardiens de la nature : l’Assemblée Populaire du Rhône

Entretien réalisé par Aurélien Dufour, étudiant à l’Ecole de journalisme de Cannes

Alors que l’Assemblée Populaire du Rhône a livré ses conclusions vendredi 15 mars, Frédéric Pitaval, et Marine Calmet reviennent sur l’histoire de cette initiative. L’occasion de comparer les travaux de la fondatrice de Wild Legal sur les droits de la nature et ses gardiens, avec la situation du Rhône. Mais aussi pour Frédéric Pitaval, président d’id-eau, l’association à l’origine de cette initiative, de se tourner vers la deuxième phase du projet : l’expérimentation sur les territoires.

Frédéric Pitaval (FP), qu’est-ce qu’id-eau ?

C’est l’association créée en 2018 dans la volonté d’imaginer une nouvelle organisation sociale, environnementale et transnationale pour être acteur et proposer des solutions vis-à-vis du changement climatique et surtout du dépassement des limites planétaires.

Notre association a fait naître un certain nombre de projets. Le premier en 2020 avec une mobilisation transnationale [franco-suisse, NDLR] pour demander la reconnaissance d’une personnalité juridique du fleuve Rhône.

Assemblée Populaire du Rhône
Les 25 participantes et participants à l’Assemblée Populaire du Rhône lors de la restitution de leurs travaux le 15 mars 2024

Cela s’est poursuivie par des discussions entre les droits de la nature et les limites planétaires et, en cherchant la légitimité la plus grande, cela a débouché sur la naissance de l’Assemblée Populaire du Rhône. Il s’agit d’un panel de 25 habitants du bassin versant du Rhône qui vont chercher des solutions. Là, on arrive à la fin de cette première étape de cette Assemblée Populaire du Rhône. La conclusion des travaux a été dévoilée le vendredi 15 mars.

Maintenant, place à la deuxième étape : l’expérimentation sur les territoires de ce que l’on a élaboré. Cette phase, que l’on a appelé « Rhône en commun », devrait nous occuper ces trois prochaines années. L’enjeu est de faire émerger des solutions par l’expérimentation sur le terrain pour se permettre de déployer une véritable gouvernance.

Marine Calmet (MC), vous aussi vous êtes à la tête d’une association, Wild Legal

Je suis la fondatrice et présidente de l’association Wild Legal. C’est une association qui milite pour la reconnaissance des droits de la nature. Nous travaillons sur trois axes. Le premier, c’est l’école, en enseignant ce que sont les droits de la nature, notamment auprès des professionnels du droit et les jeunes étudiants juristes. Le deuxième, il s’agit d’un programme d’expérimentation juridique pour les droits de la nature. Nous accompagnons les acteurs de terrain sur le plan juridique et technique. Enfin, le dernier axe consiste en des actions en justice pour faire avancer les droits de la nature par le biais de la jurisprudence. Nous avons formé le premier recours en justice pour faire reconnaître le droit à la santé d’un fleuve, le Maroni en Guyane française fortement pollué par les mines d’or illégales.

Pourquoi est-ce important de redonner des droits à la nature et en l’occurrence au Rhône. Quel est le constat que vous faites ?

FP : Malheureusement ce qu’on peut constater sur le Rhône est aussi visible sur d’autres bassins versants. C’est un principe de réalité. Il n’y a aucune bonne nouvelle à apporter en termes de qualité ou de quantité.
En termes de quantité d’abord, le glacier du Rhône fond à vitesse grand V et sa disparition est actée entre 2060 et 2100. En conséquence, les débits seront fortement impactés par la fonte, et la pluviométrie sera répartie de façon différente. D’autres facteurs jouent aussi. Notre besoin énergétique fait qu’on va essayer de capter le plus haut possible de l’eau pour fabriquer des électrons pour les centrales hydroélectriques. On a aussi besoin d’eau pour le refroidissement des réacteurs nucléaires. On assiste également à un échauffement du niveau de l’eau dû au dérèglement climatique. Des affluents du Rhône comme le Doubs, la Drôme ou le lac d’Annecy s’assèchent aussi.

Au niveau de la qualité maintenant. L’eau est polluée par plusieurs herbicides utilisés en agriculture. Des industriels polluent allégrement nos milieux, notamment avec Arkema à Lyon qui renvoient des polluants éternels dans l’eau, qui s’accumulent ensuite dans nos écosystèmes. Si bien qu’aujourd’hui, toutes les femmes enceintes du bassin versant présentent des traces de ces molécules dans les placentas.

Globalement, on essaye de maintenir un modèle de façon artificielle, que ce soit celui du tourisme de montagne par des hôtels de plus en plus nombreux, des pistes qui sont de plus en plus souvent enneigées artificiellement, par une agriculture qui ne veut pas être raisonnable et qui vient piocher dans le stock, au détriment des usages domestiques… Chacun essaye de tirer la couverture à soi sir ce bien commun qui est l’eau ce qui fait que le Rhône est frappé par ces problématiques, comme tous nos écosystèmes et nos bassins versants.

Marine Calmet, vous êtes également membre du conseil consultatif d’id-eau. Pourquoi soutenir ce projet et comment se caractérise votre soutien ?

MC : Je me suis vue comme un apport extérieur. J’espère avant tout apporter une aide juridique par la suite puisque je travaille sur l’élaboration de propositions juridiques. Le processus de l’Assemblée Populaire avait davantage besoin d’un élément de travail collectif et d’échange et je me suis contenté de mon rôle d’apportthéorique.

FP : Le but c’était d’établir une gouvernance en deux chambres. Le conseil consultatif avait plusieurs rôles et s’est réuni pour construire à chaque fois le programme des sessions. Ce conseil consultatif est constitué de dix membres qui ont tous des compétences différentes. Pour nous, c’était très important car on a voulu que l’Assemblée Populaire se construise sur des thématiques différentes comme l’écologie sociale, les droits de la nature ou encore la question de la démocratie participative. Il était important que ces aspects-là soient représentés au moins par un membre du conseil consultatif pour que la réflexion au sein de l’Assemblée Populaire du Rhône puisse se construire.
Le deuxième axe fondamental était aussi qu’ils viennent porter leur parole en fonction de leurs spécialités et de leurs travaux pour que l’enquête des panélistes [les membres de l’Assemblée Populaire tirés au sort, NDLR] soit la plus large possible et qu’ils puissent faire aboutir leur travail.
C’est pourquoi le rôle du conseil consultatif était très précieux, très divers et ils devaient, pour autant, réfléchir ensemble à faire progresser le panel sur l’objectif de faire émerger la parole du Rhône.

Devenir gardiens de la nature, c’est le nom de l’ouvrage que vous avez publié Marine Calmet. Concrètement, qu’est-ce qu’un gardien de la nature et est-ce que les membres de l’Assemblée Populaire du Rhône peuvent s’apparenter à des gardiens du Rhône ?

MC : Etre gardienne ou gardien de la Nature c’est avant tout prendre l’engagement d’agir pour représenter les voix des entités naturelles et des milieux de vie dont nous sommes si dépendant. L’engagement des panélistes dans le processus de l’Assemblée populaire a j’espère démontré qu’ils étaient nombreux-ses à seconsidérer comme gardien-nes du Rhône. C’est une question d’engagement personnel et de convictions. L’enjeu réside également dans l’ambition de proposer une nouvelle gouvernance, sortir d’une gouvernance anthropocentrée, uniquement à visage humain,, pour intégrer les voix de la nature, à travers des tuteurs pour parler au nom des écosystèmes et défendre les intérêts des entités naturelles. Nous allons justement découvrir les propositions de l’Assemblée Populaire qui je l’espère vont permettre de structurer des réponses pour une meilleure cohabitation entre les humains et les non humains.

FP : Évidemment, les panélistes quand ils ont écouté Marine Calmet, la notion de gardiens et de gardiennes est ressortie. Ils estiment que les habitants doivent être les gardiens et gardiennes et émettent des hypothèses sur comment ils peuvent s’exprimer. Ce qui est intéressant dans leur conclusion, c’est que le plus important est de partager des valeurs communes et que sur chaque territoire, selon les problématiques qui sont les leurs, comment la gouvernance pourrait s’imaginer et se construire. Ça voudrait dire que chaque expérimentation pourrait à terme faire naître des réponses sur les modalités de la tutelle des gardiens et gardiennes de la nature sur l’écosystème concerné.

Marine Calmet, vous préconisiez lors de votre intervention à la conférence #CQFD de la Fondation Terre Solidaire en 2020 d’agir en faveur de la nature et des écosystèmes avant que l’on ne soit touchés par des catastrophes naturelles et ses conséquences socio économiques. Est-ce que cette initiative d’id-eau va dans ce sens, ou sommes-nous déjà un peu en retard ?

MC : Malheureusement, nous sommes en retard : nos enfants vivront dans un monde où la plupart des glaciers auront disparu et où les aléas climatiques seront une question de vie ou de mort.
Nous sommes d’une part face à une faute de nos politiques qui n’ont pas su prendre la mesure du danger que nous encourons désormais au niveau mondial. Face à cette carence, nous avons, en tant que citoyen-nes toute légitimité à agir pour préserver notre propre existence et défendre l’intérêt général et les communs. La légitimité de l’Assemblée Populaire est donc extrêmement forte.
Il va en effet falloir faire preuve d’une résilienceque les citoyens doivent anticiper pour ne pas subir.ldes collapses et des crises, mais les surmonter collectivement. En expérimentant de nouvelles réponses à la crise écologiques les territoires peuvent commencer à élaborer des réponses et construire – c’est ce qui me semble le plus important – des réseaux d’entraide, de solidarité, d’intelligence. C’est ça que permet l’Assemblée Populaire et les autres initiatives en faveur de la nature : penser et panser les crises à venir pour apprivoiser ce futur commun que nous devons concevoir ensemble.

FP : Trop tard oui, ou très tard. C’est d’ailleurs ce qui a nourri de faire cette association. On avait deux choix. Soit essayer de convaincre et d’alerter toujours de la même façon en restant dans le même modèle libéral et ultracapitaliste. Ou alors, de se donner les moyens de le faire autrement, si on est tous persuadés de l’avenir assez sombre qu’il nous ait promis. C’est ce qu’on a voulu choisir : même s’il est trop tard, prendre le temps nécessaire de poser la problématique correctement, d’envisager une expérimentation nouvelle pour ensuite avoir des embryons de choses plus ou moins faites quand les crises surviendront.

Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est qu’une fois qu’on arrive à la fin de l’étape première de constituer la problématique, on a des sollicitations de deux types. Des territoires qui sont en lutte avec des projets inutiles [contre l’environnement, NDLR] mais qui réfléchissent à agir autrement demain. Et de l’autre côté, il y a des territoires qui anticipent.

C’était là aussi notre chance. Notre association a pris le temps de se mettre au-delà de cette urgence et de réfléchir à une autre proposition complémentaire de faire fonctionner les territoires autrement. Et c’est pour cette raison que lorsque l’on a donné mandat au panel, on s’est toujours bien gardés de dire « à bonne distance des institutions ». C’est-à-dire qu’on n’attendait pas une règle du jeu à apporter auprès des institutions. D’une part parce que sur notre bassin versant, les institutions françaises et suisses sont totalement différentes. On était obligés de partir d’une page blanche, et ça c’était une force. On a pu dire aux gardiens et gardiennes potentielles que tout était possible quand il n’y a pas le plafond de verre d’une institution.

C’était là aussi notre chance. Notre association a pris le temps de se mettre au-delà de cette urgence et de réfléchir à une autre proposition complémentaire de faire fonctionner les territoires autrement. Et c’est pour cette raison que lorsque l’on a donné mandat au panel, on s’est toujours bien gardés de dire « à bonne distance des institutions ». C’est-à-dire qu’on n’attendait pas une règle du jeu à apporter auprès des institutions. D’une part parce que sur notre bassin versant, les institutions françaises et suisses sont totalement différentes. On était obligés de partir d’une page blanche, et ça c’était une force. On a pu dire aux gardiens et gardiennes potentielles que tout était possible quand il n’y a pas le plafond de verre d’une institution.

Ce qui ne veut pas dire que les institutions ne sont pas utiles, mais pour les expérimentations, on ne va demander l’avis de personne, si ce n’est de rester dans les standards de ce que l’Assemblée Populaire souhaite. Ça, c’est une force qui nous permettrait, si les expérimentations fonctionnent, d’inciter la société civile à se prendre en main et cela montrerait que l’on peut organiser nos territoires différemment. Ce qui tombe bien, c’est que les petites institutions notamment les mairies sont très friandes de ce genre d’initiatives parce qu’elles-mêmes sont confrontées à des choses totalement nouvelles et que les réponses politiques ne fonctionnent pas vraiment. S’appuyer sur les habitants de leur territoire pour trouver des solutions, tiens donc, ça ressemble vraiment à de la démocratie !

Quelles sont les éventuelles pistes d’amélioration de l’Assemblée Populaire du Rhône ?

FP : Y en a plein ! On a eu la chance d’être soutenu par le canton de Genève et de la Fondation Zoein qui va écrire, en toute transparence, ce qui fonctionne et fonctionne pas. Ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’on essuie les plâtres d’une chose tout à fait nouvelle. On était en ressources limitées et cela ne nous a pas permis d’explorer tout ce que le procédé nous aurait permis de faire.
Concernant l’expérimentation, on ne va pas rougir de ce qu’on va faire. Ce qui démontrera ou pas le succès de l’opération, c’est ce qui vient maintenant. Si des expérimentations arrivent à naître de cette première étape (Assemblée Populaire du Rhône), alors si cette première étape n’avait peut-être pas été idéale, elle aurait permis de réaliser ce qui était prévu. Si évidemment on n’arrive pas à convaincre les territoires d’expérimenter cette méthodologie, là on aura l’honnêteté de dire qu’il manquait beaucoup de choses.

MC : Il faut avoir en tête que c’est le début de quelque chose. L’association Wild Legal se tient à la disposition d’id-eau et des gardiens et gardiennes du Rhône pour apporter un appui technique et, juridique pour accompagner ces expérimentations locales. L’effet boule de neige d’initiatives comme celle-là, qui naissent assez spontanément autour d’idéaux communs, ne peut être apprécié correctement sans un recul nécessaire qui se compte en années.

Même si vous défendez un discours « à bonne distance des institutions », n’auraient-elles pas pu vous soutenir ?

FP : Tout dépend de ce qu’on entend par soutien. Mais c’était notre volonté. En Suisse, il y a très peu de dons publics. Ce sont plutôt des soutiens financiers de la part de fondations. Pour autant, et malgré notre discours « à bonne distance des institutions », la mairie de Lyon nous a ouvert ses portes pour que la première session à la mairie de Lyon se fasse. La même chose s’est déroulée à Genève pour la deuxième session. Et à chaque fois sans aucune intervention de leur part durant les sessions. Si les institutions soutiennent que la société civile puisse venir et lui donne la possibilité d’être le poil à gratter de ses actions, là je trouve que c’est une bonne distanciation. Si ça va au-delà, pour nous, c’est une ligne rouge.

Ce modèle de construction, de démocratie directe n’a pu se construire que parce que justement il y avait une distanciation avec les autorités. Mais ce n’est pas pour autant que la discussion est rompue. Depuis qu’on affirme haut et fort ce modèle-là, on n’a jamais eu autant de discussions avec les institutions. Les syndicats sont venus aux informations pour savoir si dans leur territoire, une telle mobilisation citoyenne ne pouvait pas se mettre en place. Des petites communes sont aussi venues à nous, on discute !

Si elles veulent nous soutenir, qu’elle puisse permettre la tenue dans les conditions décidées par l’Assemblée Populaire et qu’elles considèrent ce qui a été décidé par les citoyens. Mais on ne veut pas que cela aille au-delà. C’est le rôle des institutions. On ne leur demande pas de tout inventer, elles doivent aussi laisser l’imagination à la société civile. Mais par contre, elles doivent considérer et, encore mieux, exécuter les décisions émises.

C’est un nouveau rapport de force qui commence à se mettre en place. Mais à charge maintenant pour nous, si on veut continuer de regarder l’autorité dans les yeux, de se rendre autonome financièrement.

Revivez la restitution publique des travaux des 25 habitantes et habitants du bassin versant du Rhône, en France et en Suisse.

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