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Entretien avec Véronique Lucas

Que faut-il retenir de votre thèse dans ses grandes lignes ?

Depuis l’annonce d’actions en faveur de l’agroécologie en 2012 par Stéphane Le Foll, alors Ministre de l’Agriculture, ce thème est devenu à la mode sans trop savoir comment il se décline pour les acteurs de terrain.
A partir d’enquêtes menées en partenariat avec 17 CUMA, j’ai mis en avant la notion d’« agroécologie silencieuse » marquée par de grandes caractéristiques.
Tout d’abord, les agriculteurs rencontrés parlent très peu des questions environnementales, ou d’agroécologie. Ce qui est important pour eux en priorité, c’est une recherche d’autonomie.
Ces agriculteurs ont une double volonté : mettre à distance un certain nombre de dépendances comme les intrants à prix volatiles (par exemple le soja pour nourrir les animaux) ou les engrais et regagner la maîtrise des conditions de leur activité.
Ils souhaitent ainsi construire des systèmes agricoles plus résilients par rapport à ces contraintes (par l’augmentation par exemple de leurs capacités à produire tout au long de l’année des aliments pour le bétail). Pour ce faire, ils adoptent sans que cela soit leur première intention des techniques agroécologiques.
La faible connaissance de cette agroécologie silencieuse est renforcée par le manque de recensement de ces pratiques non seulement individuelles mais aussi collectives.
Certains agriculteurs ont ainsi développé des savoir-faire complexes et intéressants à valoriser. Mais il est difficile de les saisir car les instruments de connaissance actuels (par exemple les enquêtes statistiques) sont limités pour les repérer. Cette agroécologie silencieuse nécessite aussi des équipements agricoles spécifiques parfois onéreux, voire davantage de temps de travail par hectare cultivé. L’entraide et le partage d’équipements sont alors importants. Il existe aussi des modes de coopération innovants, par exemple entre agriculteurs et céréaliers pour mettre à profit les synergies agronomiques entre leurs systèmes productifs, mais là encore difficilement visibles car ils ne se traduisent pas de manière comptable, ni de manière juridique.
Ainsi le développement de pratiques agroécologiques en France est beaucoup plus développé que ce qu’on pourrait le croire. Ce manque de visibilité est un problème car il limite les possibilités de ciblage pertinent des politiques publiques qui s’opère aujourd’hui de manière relativement aveugle.

Est-on sur un point de rupture ?

De plus en plus d’agriculteurs sont dans des impasses économiques et sociales. Elles sont les conséquences du système productiviste actuel qui les pousse par exemple à augmenter la taille de leurs fermes avec toujours plus d’investissements, ce qui les fragilise en cas de chute des prix. Face aux dérèglements climatiques et environnementaux qui les touchent en premier, nombreux sont ceux qui sont convaincus qu’il y a nécessité d’évoluer en allant vers des pratiques agricoles plus douces pour l’environnement, mais beaucoup manque de ressources et conditions appropriées pour changer de modèles. Car les connaissances et propositions techniques adaptées manquent de la part de la recherche, de l’encadrement technique et de leurs fournisseurs, de même que les débouchés pour une plus grande diversité de cultures dans les filières agroalimentaires.
De fait, beaucoup se sentent agressés par un discours environnementaliste, reflet d’une société qui les accuse d’immobilisme voire d’être responsables des scandales sanitaires ou de la pollution des sols. Ces injonctions entraînent un sentiment de sur-responsabilisation des agriculteurs sur ces problématiques environnementales, source de ressentiments et de frustrations. Car la transition agroécologique n’est pas que l’affaire des agriculteurs, les autres opérateurs du secteur agricole et agroalimentaire doivent changer eux aussi.

Que pouvons-nous faire en tant que fondation pour aider à produire ces changements ?

Il faut soutenir et valoriser les initiatives qui montrent que la transition est possible dans le secteur agricole et en particulier par ces agriculteurs qui pratiquent une agroécologie silencieuse. Il existe une multitude de nouvelles pratiques loin des projecteurs mises en place par ces agriculteurs, qui contribuent à l’amélioration de nos systèmes productifs. Il est important de les soutenir pour qu’elles puissent être reconnues et inspirer d’autres.
Il faut aussi soutenir la mise en réseau entre agriculteurs pour renforcer leur capacité à partager leurs expériences et à les analyser. Ainsi, soutenir les efforts de formulation de propositions de politiques publiques ou d’actions correctrices à partir de ces analyses pourrait contribuer à un « déverrouillage » plus général de l’organisation socio-économique du secteur agricole aujourd’hui défavorable à une transition agroécologique de plus grande ampleur. Par exemple, favoriser les liens entre ces agriculteurs et le secteur de la recherche pourrait être intéressant pour faciliter cette transition.

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire