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La transition écologique en Colombie

La Fondation Terre Solidaire soutient Censat Agua Viva depuis bientot trois ans, acteur important de la transition écologique en Colombie. L’approche de Censat Agua Viva est intéressante car elle mène à la fois des actions de plaidoyer et apporte également un appui aux communautés locales face aux projets d’économie verte.

Entretien avec Linda González, Chargée de mission forêts et biodiversité au sein de l’organisation Censat Agua Viva

Entretien et traduction de l’espagnol (Colombie) réalisés le 22 juin 2023 à Pasto (Putumayo) par Jean Vettraino pour la Fondation Terre Solidaire. Crédit photo : Anne Boisse

Après des études d’anthropologie (Université Fédérale de l’Intégration Latinoaméricaine et Université Fédérale du Paraná), Linda Gonzalez a travaillé au Brésil au sein de différentes organisations, dont le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI), dans le cadre de processus de formation, de mobilisation et d’empouvoirement des populations autochtones. Elle est ensuite revenue à Bogota, capitale de la Colombie, où elle vit aujourd’hui. Elle a intégré l’équipe salariée de Censat Agua Viva en mars 2022, organisation colombienne de défense de l’environnement et des communautés1Le terme de « communauté » n’a pas en Colombie le sens fermé et parfois péjoratif qu’il peut avoir en France (où il est confondu avec le communautarisme). C’est un terme courant qui désigne des collectifs forts de solidarité locale, d’autant plus important que la puissance publique est faible voire absente, sur une base « ethnique » (peuples autochtones) et/ou liée à un bassin de vie ou une activité (on parle par exemple de « communautés paysannes »).  affectées par des grands projets d’infrastructures, d’extractivisme ou d’agro-industrie.

Censat Agua Viva appuie notamment des alternatives qui répondent aux besoins des populations locales. Elle mène des actions de recherche-plaidoyer et renforce les capacités d’actions de la société civile colombienne sur des problématiques de justice environnementale.

A l’échelle de la Colombie, constatez-vous une prise de conscience des enjeux écologiques au sens large ?

Aujourd’hui, les thématiques environnementales sont connues en Colombie – bien plus qu’avant. Non seulement parce que le gouvernement actuel [Gustavo Petro a été élu, le 19 juin 2022, président de la Colombie] en a fait l’un de ses sujets phare, y compris à l’international, mais aussi parce que la population a progressivement pris conscience des impacts sur le territoire colombien des changements climatiques, de la destruction des écosystèmes, des pollutions multiples, etc. Pour autant, cette prise de conscience n’est pas vraiment suivie d’effets, pour trois raisons principales :

  • D’abord, les causes et effets structurels des diverses dégradations environnementales sont méconnues. Par exemple, il est difficile pour les citoyens et citoyennes d’appréhender ce que signifie réellement la destruction annuelle de centaines de milliers d’hectares de zones naturelles (en 2021, plus de 174 000 hectares ont disparu en Colombie, principalement en Amazonie) et quelles en sont les causes. Ces dernières sont souvent restreintes, dans la perception générale, à la culture illégale de la coca, sans que l’exploitation minière et pétrolière soient questionnées.
  • Ensuite, le « comment » de la transition écologique est mal compris. De manière générale, quel que soit le secteur (eau, énergie, biodiversité et forêts, etc.), on compte beaucoup sur des solutions à très grandes échelles, suivant une logique et un discours de grandes entreprises, et reposant sur de fausses solutions, comme les marchés carbone. Les solutions locales, telle la gestion communautaire des territoires et des forêts promues par Censat Agua Viva, sont très peu connues ou minimisées. Qui connait par exemple le travail de restauration écologique, de gestion d’une source d’eau potable et d’éducation à l’environnement effectués par l’Association de Femmes Autochtones (ASOMI) près de Mocoa, capitale du Putumayo ?
  • Enfin, les cadres normatifs et législatifs progressistes adoptés peinent à se traduire concrètement au niveau des territoires.

Pourriez-vous citer une initiative soutenue par Censat Agua Viva particulièrement inspirante à vos yeux ?

Bien sûr ! Censat Agua Viva accompagne actuellement 35 initiatives locales, dans l’ensemble du pays, qui montrent la diversité des réponses communautaires et citoyennes possibles face aux divers défis écologiques. Prenons l’exemple du Collectif des Territoires Paysans et Communautaires de Santander [Santander est l’un des 32 départements de Colombie, situé dans le nord-est du pays dans la région andine]. Il s’est constitué en 2008, autour d’un groupe de plusieurs familles qui souhaitaient gérer ensemble leur territoire en milieu rural. Il n’a cessé de grandir depuis. En plus d’une gestion et conservation communautaires des forêts, la réflexion et le travail écologiques se sont développés dans de nombreux domaines : gestion de l’eau, de l’énergie (biodigesteurs alimentant en biogaz les maisons de la communauté), agriculture raisonnée et diversifiées, etc. Ces développements se sont toujours faits dans une double perspective : de justice sociale et environnementale d’une part, démocratique d’autre part. De nombreuses femmes participent à la gestion et à la gouvernance du collectif. Ce dernier s’est par ailleurs doté d’une structure d’éducation et de formation sur les problématiques et les bonnes pratiques environnementales. Ainsi, cette initiative locale l’atteste, une transition écologique juste et solidaire est possible2Pour aller plus loin, les lecteurs et lectrices en espagnol peuvent consulter cet article en ligne de Censat Agua Viva : https://transicionenergeticajusta.org/cosechas-de-aguas-lluvias-para-el-buen-vivir/.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail actuel ?

Je peux œuvrer au changement, même si c’est à une échelle réduite, même si c’est long et difficile. La crise que nous traversons va au-delà de l’environnement ; elle est civilisationnelle, touche à nos modes de vie. Elle concerne nos liens à la nature ainsi que nos liens aux autres, indissociablement. Cette transformation sociétale s’opère aussi au niveau individuel. Elle m’interroge et me pousse à changer. Les défis, les problèmes et les pièges de la transition écologique sont nombreux et colossaux, comme nous avons pu l’entendre avec force cette semaine auprès de communautés autochtones Inga et Kamëntsa, près de Mocoa et dans la vallée du Sibundoy dans le Haut Putumayo. C’est parfois épuisant. Mais cette espérance me porte et prend tout son sens dans mon travail.

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    Le terme de « communauté » n’a pas en Colombie le sens fermé et parfois péjoratif qu’il peut avoir en France (où il est confondu avec le communautarisme). C’est un terme courant qui désigne des collectifs forts de solidarité locale, d’autant plus important que la puissance publique est faible voire absente, sur une base « ethnique » (peuples autochtones) et/ou liée à un bassin de vie ou une activité (on parle par exemple de « communautés paysannes »). 
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    Pour aller plus loin, les lecteurs et lectrices en espagnol peuvent consulter cet article en ligne de Censat Agua Viva : https://transicionenergeticajusta.org/cosechas-de-aguas-lluvias-para-el-buen-vivir/

ENSEMBLE, accélérons la transition écologique et solidaire